Fantômas
7.3
Fantômas

Film de Louis Feuillade (1913)

Réalisée par Louis Feuillade durant les années 1913 et 1914, la pentalogie Fantômas se rapproche davantage d'une sorte de gros feuilleton, avec des épisodes à mi-chemin entre le filler et le canon, Fantômas n'étant jamais « vraiment arrêté » par les forces de l'ordre, mais les épisodes se suivant les uns les autres néanmoins. Pour le dire autrement, c'est du Marvel avant l'heure : vous devez avoir vu tous les épisodes sortis jusque-là pour voir celui qui vient de sortir, puis une fois visionné, vous vous rendez compte que les précédentes parties n'étaient pas tant indispensables que ça. Bref, tout ça pour dire que même si le personnage central du récit nous est rapidement présenté, on n'assiste ni sa création, ni sa disparition.

Reste tout de même à questionner le niveau des films/épisodes, un à un, mais aussi à questionner le niveau de la pentalogie/série prise dans son ensemble.



Commençons par le commencement.

À l'ombre de la guillotine étant le premier épisode, on lui pardonnera pas mal de fautes. À vrai dire, s'il n'apporte pas grand-chose de plus face aux autres, il permet néanmoins de noter quelques qualités, quelques particularités, que l'on retrouvera tout le long de la série. Forcément, les nombreux déguisements qu'empruntera le bonhomme tout le long ne sont pas sans rappeler ceux qu'utilisera Mabuse, dans l'ouvrage éponyme écrit par Norbert Jacques en 1921, adapté par Fritz Lang tout juste un an plus tard, ou encore les films Mission Impossible, pour ne citer que ces deux œuvres. À la différence que le Fantômas de Feuillade, à savoir René Navarre, se déguise réellement lui : ce n'est pas l'acteur dont il est censé prendre les formes qui jouent une sorte de Fantômas déguisé (comme dans les films de Hunebelle), mais bel et bien l'acteur interprétant Fantômas qui se déguise en autre personnage. Bon après, il faut bien avouer que le côté noir et blanc, le fait qu'on puisse moins faire attention aux détails, aide un peu.

Plus surprenant, le méchant laisse sa carte, tout comme un certain Joker (je serais tenté de dire que Juve et Fandor incarnent Batman et Robin, mais ça me semble un poil exagéré). L'atrocité des crimes commis par ce dernier n'est d'ailleurs pas sans rappeler ceux visibles dans les romans-feuilletons originaux écrits par le duo Souvestre et Allain. Malheureusement, comme on pouvait s'en douter rien qu'en voyant l'affiche, cinéma oblige, la violence de ces crimes n'est à aucun moment retranscrite dans les films dont il est question ici. Ceci fait de la pentalogie Fantômas de Feuillade une sorte d'adaptation « légère », une sorte de premier pas vers les films réalisés par André Hunebelle cinquante ans plus tard. Une légèreté qui prendrait presque la forme d'une comédie, pour parfaire la comparaison avec les films de Hunebelle, quant on voit la grossière manière de comment Fantômas s'échappe la plupart du temps… mais on va très vite revenir dessus.


Le deuxième épisode, Juve contre Fantômas, est probablement le plus audacieux de tous, le plus poussé au niveau de la mise en scène. Déjà, Feuillade filme les rues parisiennes. Ça peut paraître con dit comme ça, mais il ne me semble pas que c'était très commun à l'époque. Et, même si on a forcément droit à un milliard de regards caméra, reste que j'apprécie toujours de voir le Paris du début du XXᵉ, avec ses véhicules et le style vestimentaire propre à cette époque, être filmé. Aussi, une maquette a été utilisée pour représenter le crash d'un train à la fin du premier tiers du film : même si on voit forcément le côté artificiel, ça fonctionne tout de même.

Malheureusement, (et il ne sera pas le dernier) le côté ridicule est accentué avec cet épisode : les plans de Juve pour piéger Fantômas sont grotesques, la scène avec le serpent à la toute fin est plus drôle qu'autre chose, et la fusillade qui a lieu juste avant la fin de la première partie du film, lors d'une nuit américaine, tiendrait presque du Chaplin tant les antagonistes ne sont aucunement menaçants (ils visent encore moins bien que des stormtroopers c'est dire). Idem pour la narration, on a droit à pas mal de facilités : certains méchants, des side kicks, arrivent de nulle part, et Fantômas s'échappe… grâce à des faux bras (spoiler : on assistera à encore plus ridicule par la suite). Le truc, encore une fois, c'est que les films sont quand même très sérieux. Autant Hunebelle voulait faire des films comiques (Fantomas contre Scotland Yard étant le meilleur à ce niveau-là), autant Feuillade semble avoir réalisé tout ça premier degré.


Le Mort qui tue (pleins de jeux de mots à faire avec ce titre). Ça se gâte encore un peu. Le problème de ce troisième épisode étant qu'il est beaucoup trop long : trop peu de trucs à raconter pour un film tenant sur plus d'une centaine de minutes (le plus long des cinq). On a beau trouver l'excuse du « ça avance lentement parce que les flics sont cons » (excuse justifiée et réaliste pour le coup), reste qu'on s'emmerde beaucoup devant.

Deux qualités à souligner tout de même. Déjà, le fait que Juve simule sa mort n'est pas inintéressant, probablement son move le plus intelligent des cinq films (si tenté qu'il y en ait d'autres), de surcroit, sa nouvelle apparence, en tant que Crânajour (un benêt comme son nom l'indique subtilement), reste réussie. Enfin (surtout), les compositions de certains plans sont très intéressantes : Magritte s'est inspiré de ce film pour certaines de ses œuvres, notamment pour L'Assassin menacé. Feuillade possède clairement une certaine maîtrise en ce qui concerne la composition de ses plans.


Fantômas contre Fantômas apporte l'idée du « et si Juve et Fantômas ne faisait qu'un depuis le début ? » qu'on retrouvera dans la première adaptation de Hunebelle, mais n'est pas assez bien exploitée : rien à dire de pertinent dessus. La fuite de Fantômas est quant à elle probablement la plus ridicule de toute la pentalogie : c'est littéralement un gag des Looney Tunes (je vous laisse constater ça par vous-même).

Voilà, c'est le film de la pentalogie sur lequel j'ai le moins de choses à dire.


Le Faux Magistrat est sans nul doute l'épisode le plus faible de tous, même s'il faut bien avouer que le fait d'avoir supporté les quatre autres avant joue en sa défaveur. Quoiqu'autre chose joue aussi en sa défaveur : le fait que certaines scènes ont été perdues. Du coup, inutile de dire que le film perd en clarté (bon après on peut prendre le verre à moitié vide et se dire que cela fait durer le supplice moins longtemps). Je ne sais pas si ce qui se passe avant l'intro, si le fait que Fantômas se soit retrouvé enfermé en Belgique a aussi été perdu… par contre, le plan de Juve pour le faire revenir en France est pour le coup définitivement trop con !

Le plan ? Vu que la Belgique a commué la peine de mort en détention perpétuelle, et qu'il est impossible de le faire extrader jusqu'en France, il trouve le moyen pour le faire évader et prendre sa place. Quid de la sécurité de la prison ? Quid de la surveillance de l'ennemi public n°1 ? Quid du fait que Juve ne ressemble, mais alors vraiment pas du tout à Fantômas ? J'ai encore un milliard de questions, mais je vais m'arrêter là ! C'est très con ? Attendez la suite ! Une fois échappé, Fantômas se fait filer par deux inspecteurs français aussi discrets que Tanguy David au milieu des membres de chez Reconquête. La suite logique : Fantômas speedrun sa disparition.

Sans trop de surprise, ça se termine sur Fantômas qui se fait capturer, mais qui, Oh surprise ! a déjà concocté un plan pour s'échapper (les bras m'en tombent !… comme dans l'épisode 2 lol). Pour le coup, on a le droit à la fin la plus nulle de toutes puisque l'épisode se contente d'enchaîner une lettre suivie de plusieurs panneaux pour clore l'épisode, et donc la pentalogie/la série par la même occasion. Une qualité à souligner néanmoins (parce qu'il y en a une) : le plan avec la cloche, au format 1:2, mais en longueur, est original, en plus d'être bien composé.

Cette fin a décidément un goût bien amer. D'un côté, j'étais content que ça se termine enfin, de l'autre, je pense qu'on aurait pu avoir droit à une conclusion bien moins nulle que ça. Qu'on en finisse avec Fantômas ou non, qu'il s'échappe, meurt, ou reste en vie, il y avait en tous cas moyens pour conclure la pentalogie en beauté, tout du moins lui insuffler plus d'énergie. Autant, je ne regrette pas le fait qu'il n'y ait pas eu de suite(s), autant je reste curieux, j'aurais bien aimé voir comment tout cela se serait terminé si la Première Guerre mondiale n'avait pas fait son apparition.



Vous l'avez compris, j'ai trouvé ces cinq films inégaux, la faute notamment à un schéma qui se répète d'épisode en épisode, quitte à en devenir presque parodique. Il faut dire aussi que le fait que les diverses intrigues avancent principalement car les personnages sont cons n'aide en rien à les prendre au sérieux : le Juve de Feuillade, incarné par Edmond Bréon, n'est finalement pas tant éloigné que ça du Juve incarné par de Funès. Cela me rappelle le conflit opposant André Hunebelle à Marcel Allain, dont on peut entendre quelques bribes dans le documentaire Arte, Fantômas démasqué. Là où le second avait porté plainte contre la Gaumont car « leurs films ne font pas peur, ils font rigoler », le premier avait clairement assumé ne pas réaliser des films tirés des feuilletons de Souvestre et Allain car « très dépassé à l'heure actuelle », avant d'ajouter que quand il allait voir un film de Feuillade avec ses amis, c'était pour s'amuser. Pourtant, les quelques morceaux de critiques d'époque que j'ai pu lire des films de ce dernier ne font en rien mention d'humour ou du fait de s'amuser, et tout semble laisser croire que Feuillade était bel et bien sérieux… et de toute façon, le duo Souvestre/Allain n'a jamais porté plainte contre les films réalisés par ce dernier. Et à quand bien même Feuillade aurait réalisé des Fantômas censés être drôles… bah là encore, c'est raté : on rigole davantage du film qu'on le trouve intrinsèquement drôle.

Par corolaire, qu'on aime ou non la trilogie de Hunebelle, force est de constater que lui au moins a réussi à détourner l'œuvre, qu'il n'a pas hésité à faire ce qu'il faut faire en cas d'adaptation : à s'approprier l'œuvre, à assassiner les auteurs originels… quitte à se retrouver en procès avec l'un d'eux. A posteriori, les films de Feuillade opèrent une sorte d'entre-deux : sans l'humour d'Hunebelle, et sans les crimes dictés par le duo Souvestre et Allain… oui, parce que pour l'anecdote, les deux auteurs n'écrivaient pas : ils dictaient leurs textes sur des rouleaux de cires via un phonographe, et ces mêmes rouleaux de cires étaient portés à des dactylographes le lendemain. Cela explique le rythme de production de l'époque.


Cela dit, et comme déjà évoqué à plusieurs reprises tout le long de cette critique, les films de Feuillade possèdent néanmoins d'indéniables qualités. Premièrement, il y a une recherche dans la composition des plans. Il y a très clairement une volonté de recherche picturale dans son œuvre. Aussi, bien que ce ne soit pas effrayant, début du XXᵉ siècle oblige, j'ai tout de même noté un regard caméra glaçant de Fantômas à 48:25 lors de l'épisode 2… n'est-ce pas bien précis ? Il faut dire aussi que c'est la seule fois où c'est arrivé. Plus sérieusement, la pentalogie possède d'autres qualités, comme déjà mentionné plus haut dans cette critique : le fait que les acteurs, en particulier René Navarre, se déguisent réellement, en est l'une d'entre elles. Enfin, pour un film en noir et blanc, le jeu des acteurs a plutôt bien vieilli : comprenez par là qu'on évite le surjeu inhérent à cette période, mais qu'on arrive à comprendre leurs motivations, leurs expressions, tout de même. En fait, plus que le jeu d'acteur, c'est la pentalogie dans son ensemble qui a plutôt bien vieilli. Certes, elle possède nombre de défauts, mais ces défauts sont davantage dus à des défauts déjà présents à l'époque qu'à une manière de faire, à un propos, qui aurait fait de cette pentalogie des films qui ont très mal vieilli.

Du coup, cette pentalogie Fantômas, je la recommande ou non ? Bah alors justement, le fait que chaque épisode fasse moins bien que le précédent fait que j'aurais tendance à recommander le visionnage des deux premiers épisodes. Ensuite, à vous de voir si vous souhaitez regarder la suite ou non. Chaque nouvel épisode étant plus long, mais moins bon que le précédent, reste à voir si vous arriverez à supporter le tout.


Dans la conclusion du documentaire Fantômas démasqué, Jan Kounen annonce le retour prochain de Fantômas. Pour le coup, bien que je pense que ce sera dur de passer après l'image comique donnée par Hunebelle, j'ose espérer que ce sera le cas tant le côté extrêmement cynique et cruel de cet antagoniste, l'utilisation des dernières technologies pour arriver à ses fins, n'ont jamais été retranscrits au cinéma… du moins dans un film Fantômas… parce que les autres œuvres de fictions n'ont justement pas attendu Fantômas pour faire du Fantômas.

Quoi qu'il me reste aussi à voir les différentes adaptations diffusées entre la pentalogie de Feuillade et la trilogie de Hunebelle… encore faudrait-il que je mette la main dessus.

MacCAM
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le 22 avr. 2024

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