Andreï Zviaguintsev, prix du scénario à Cannes en 2017 avec le très beau Léviathan, revient avec une histoire de disparition soudaine au cœur d’un pays menacé par le chaos.
Négligé par ses parents en instance de divorce, un enfant (Aliocha) décide de disparaitre. C’est sur ce postulat de base que le réalisateur russe Andreï Zviaguintsev brode son nouveau film, FAUTE D’AMOUR. Pourtant si on s’attendait, avec ce pitch, à un film de recherches, il faut attendre quasiment une heure pour que cet axe démarre réellement, Zviaguintsev préférant s’attarder sur le couple en rupture totale. Mais d’emblée une première grosse question se pose : pourquoi mettre autant en avant ses personnages lorsqu’on a aussi peu d’affection pour eux ? Ni le père ni la mère n’arrivent à créer avec nous un si précieux lien d’empathie, ou alors de façon trop minimes, lorsque le temps de quelques secondes surgit une ouverture pour sonder ce qui les travaille de l’intérieur. On en reste à un stade d’observation plutôt que de communion, les scrutant de haut en bas comme s’ils étaient des objets d’études. La limite de FAUTE D’AMOUR s’impose subitement à nous, d’autant plus que Zviaguintsev semble lui-même ne pas aimer ses personnages. L’impression demeure de voir un metteur en scène misanthrope manipuler des pantins, en prenant un parfois un plaisir sadique à les torturer comme dans la désarçonnante scène de la morgue où sa pirouette de petit malin provoque un rire gêné.
Typiquement comme dans les films venus de l’Europe de l’Est, le discours politique est inévitable. Le portrait dressée de la Russie n’a rien d’aguicheur. Aride, glaciale, inhospitalières, jonchée de dysfonctionnements et embourbée dans des pratiques très strictes l’empêchant d’évoluer. Cette quête désespérée pour retrouver un enfant subitement volatilisé est à la fois une épreuve pour les parents, face à leurs responsabilités mais aussi une auscultation de la patrie de Poutine, faisant jaillir une double impuissance – d’un côté deux adultes n’ayant jamais endossés convenablement leur rôle de parents se retrouvent confrontés à des sentiments insoupçonnés et de l’autre un pays dont les structures liées à l’Etat (la police) sont incapable d’agir convenablement pour résoudre les soucis de la population. Tout cela est, en soi, assez passionnant si on cherche à comprendre comment les mécanismes en sont venus à gripper en Russie.
Formellement très cloisonné, Andreï Zviaguintsev accumule des symboles pas très fins, sur lesquels il s’attarde longtemps à moult reprises. Pensé et exécuté avec précision, FAUTE D’AMOUR ne nous laisse pas d’air ni ne nous accorde une confiance folle tant il nous assène son propos. Au demeurant assez beau visuellement (la lumière est somptueuse), le sens du cadre du metteur en scène russe tombe parfois dans l’outrance esthétique – faire beau juste pour le geste, pour satisfaire une égocentrique satisfaction de se regarder composer des cadres élaborés. Péremptoire au possible, FAUTE D’AMOUR prend la pose pour nous aguicher mais peine à nous séduire.
Par Maxime Bedini pour Le Blog du Cinéma