Vivre à son rythme, en famille : un feel-good movie frustrant

Treize ans après la pépite incomprise et introuvable qu’est son premier long-métrage Héros, Bruno Merle est enfin de retour. Dans ce film il racontait l’histoire d’un chauffeur de salle qui enlève et séquestre un chanteur qu’il idolâtre depuis son enfance. Michaël Youn était très surprenant dans ce rôle qui proposait une nuance dramatique de son jeu d’acteur par rapport aux comédies populaires dont il était habitué. Mais après l’échec de ce film (qui aurait pu marcher dans la période actuelle après le succès du Joker (2019) de Todd Phillips, le réalisateur est resté dans l’ombre… En 2019, il écrit le scénario du film Le Prince oublié de Michel Hazanavicius, et en 2020 il réalise Felicità, deux films qui font rêver, voyager, et où la relation père-fille est centrale.


Felicità raconte l’histoire de Tim (Pio Marmaï) et Chloé (Camille Rutherford), un couple heureux indépendant et sans attache, qui ont promis à leur fille Tommy (Rita Merle, la fille du réalisateur) qui fait sa rentrée au collège le lendemain, de ne pas être en retard. Il faut être à 8:00 devant le portail. Mais ce dernier jour d’été, tout ne se passe pas comme prévu : vol de voiture, disparition de Chloé, apparition d’un cosmonaute...


Ce road-movie d’une famille en marge de la société propose un jeu de piste constant aussi drôle et divertissant que déroutant : la séquence d’introduction place les trois personnages dans un environnement plutôt banal. Un bar restaurant, à table Tim et Chloé annoncent à Tommy qu’elle a été adoptée, et que son père biologique est Orelsan. S’ensuit un long silence, avant que Tommy fasse semblant de rire. Le ton sérieux de l’histoire bien amenée n’a pas convaincu l’esprit aiguisé de la jeune fille qui a maintenant l'habitude des blagues et du mode de vie de ses parents. La normalité est remise en cause à chaque instant, à travers les choix des personnages.


“On a toujours le choix, mais il faut faire le bon” dit Tim à sa fille. Chaque action devient plaisante à suivre, on ne sait jamais ce qui va se produire, notamment lorsque Chloé disparaît ou que Tim vole une voiture. Cependant, malgré l’éducation par le visionnage du film Freaks, la monstrueuse parade (1932, Tod Browning) que Tim tente de donner à sa fille, Felicità ne parvient pas à aller au bout des situations peu communes et reste trop académique (l’effet de l’apparition du cosmonaute se dissipe vite, les interactions des personnages avec le monde extérieur sont trop courtes).


En 24h les personnages vivent un condensé de débrouille et de liberté. Nous sommes emportés dans un feel-good movie atypique qui fait penser dans le concept, et pendant certaines scènes (bar-restaurant, voiture, etc) au Captain Fantastic (2016) de Matt Ross. Mais ici c’est Pio Marmai qui incarne brillamment son personnage de père farceur, immature et impulsif. Le moment présent est son terrain de jeu, et les marques du temps tout au long du film évoquent l’importance de celui-ci (les tatouages sur son bras qui marquent l’évolution de la taille de Tommy, la durée de l’intrigue en 24h, l’heure à laquelle ils doivent arriver au collège 8:00, etc). La narration suit cette frivolité des personnages et se construit sur leur mode de vie vagabond et sans attache. Or, les actions et les blagues finissent par se répéter, tout en brouillant les repères des relations entre les personnages : on ne sait plus où se trouve le vrai du faux, ce qui provoque une sensation de méfiance face au film et à sa sincérité. L’ambiance du film est ternie par son propre concept de farces et d’incarnation de rôles par les personnages, qui éloigne finalement la volonté de légèreté proposée par Felicità.


Pour son retour, Bruno Merle tente d’apporter des couleurs au paysage cinématographique français avec plus de légèreté et de marginalité, mais bien qu’il y parvienne lors de quelques moments suspendus (la séquence finale reproduit la sensation agréable de surprise qu’avait provoqué la séquence d’introduction), il pousse son récit à saturation par la répétition des actions, et n’atteint pas la grâce d’un film qui s’éloignerait sincèrement de l’académisme.


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Psukhe
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le 22 oct. 2020

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