A défaut de pouvoir nous surprendre par l’histoire, trop bien connue, de ce « First Man », Chazelle nous surprend en revanche par son approche et ses choix de mise en scène.
L’histoire qu’il nous raconte ici est celle d’un homme, de l’Humanité qu’il représente, et de son humanité propre. Car Neil Armstrong ne portait pas seulement le rêve démesuré de l’Amérique de son temps, c’était aussi un humain dans ce qu’il a de plus terrestre, ce qu’on oublie aisément au regard de ce qu’il a accompli. C’est là tout le parti pris du réalisateur, qui choisi de livrer une oeuvre intime, bien loin de l’épopée grandiloquente à laquelle on pouvait s’attendre. Bien sûr, il ne s’affranchit pas de quelques magnifiques plans de la courbure terrestre ni d’une bande originale wagnerienne, sans quoi le film manquerait tout de même de souffle. Mais il minimise le nombre de plans larges sur les confins de l’espace pour nous enfermer, caméra tremblante, dans les cockpits, avec les pilotes, pour des séquences de tensions à se crisper sur son siège. Face au « silence éternel de ces espaces infinis », Armstrong est ramené à ses passions tristes, incarnées par le deuil de sa fille, et le choix de Ryan Gosling pour l’interpréter paraît alors évident.
Le découpage narratif nous transporte habilement des simulateurs de vol à sa cuisine. Par des aller-retours permanents entre le père de famille et le scientifique, les deux se confondent, et l’histoire se dessine en filigrane dans l’Histoire. Armstrong était-il un héros ? Oui … Mais pas que … Son cadre familial tempère toute ardeur héroïque : sa femme, partagée entre une forme d’admiration pudique et l’angoisse d’être veuve, qui le force à dire à ses enfants qu’il ne reviendra peut-être (sûrement ?) pas ; ses fils, avec qui les liens affectifs ne semblent tenir qu’à l’éventualité d’un retour ; sa fille enfin, dont le fantôme est encore trop présent (sans toutefois tomber dans le pathos outrancier).
Sans atteindre la puissance émotionnelle de Whiplash, Chazelle parvient, en dépit d’un scénario par définition sans surprise, à nous coller au fond du siège pour nous emmener sur la Lune, à travers une épopée intimiste, où le deuil d’un enfant s’avère aussi abyssal que l’immensité de l’univers, et où l’infini se ramène à un bracelet.