-
L’avis sans spoil : À voir... si vous trouvez le film. Pour public averti.
-
La démarche artistique consiste à se poser un cadre et à jouer à l'intérieur autant qu’avec ses limites. Cet art de la contrainte - proche de la démarche scientifique, avec plus de liberté quant aux réponses - va de l'art de la fugue de Bach à l'art contemporain en passant pas les exercices Oulipiens de Queneau. Tout art même mineur, folk, populaire doit répondre à ce jeu cadre-réponse.
Après plusieurs collaborations clipesques - une contrainte en soi - où Chris Cunningham se cale sur la musique d'Aphex Twin, les deux compères décident d'inverser le processus, Aphex Twin devant mettre en musique un film de Cunningham préexistant*. En apparence, peu de différence d'avec un compositeur travaillant pour un réalisateur. Mais la contrainte est là : c'est l'opposé de leurs habitudes de travail dont ils prennent le chemin. Tout en continuant leur rapport clipesque sous ambiance techno et leur idée particulière du rapport son-image, ils vont accoucher d'un objet nouveau, hybride, qui sera exhibé lors d'expositions d'art contemporain.
Le résultat de la contrainte va plus loin. Ils n’ont pas seulement échangé l’ordre des rôles, ils semblent aussi avoir échangés leurs fonctions. Dans le visuel de Cunningham les corps ressemblent à des instruments, les images semblent rythmées, presque orchestrées. De son côté, la musique d'Aphex Twin se trouve comme "montée" plus que composée. Sans éviter l'écueil de l’illustration elle se libère tout de même en n’ayant pas de tempo. Oubliée la régularité habituelle de la techno, ici pas de « batterie », de boite à rythme, ni même peut-être de mesures. Entre boyaux et nerfs, elle s’étire comme des ressorts prêts à céder, gonfle comme des ballons prêts à éclater avant de crépiter en petits feux d’artifices pour mieux se contorsionner de plus belle.
La recherche sur le corps entre horreur et humour de Cunningham est polarisée cette fois-ci entre douceur et violence, entre amour et haine. On pourrait y voir une préfiguration des problématiques hommes-femmes très en question en ce moment, mais il serait dommage de réduire le film à ce seul aspect quand bien même visionnaire.
L’ensemble offre une œuvre à fois très froide et très sensuelle, organique et artificielle, à l’image des outils et des goûts de leur deux auteurs.
* Je cite cette volonté d’échanger les rôles de mémoire. C’est ce que j’ai lu à l’époque mais n’en trouve pas de trace explicite, notamment pas sur le wiki anglais. À prendre avec réserve donc. Ça ne change pas le fond de ma critique.
Vu 2 fois,
8/10
[Critique de 2025]
_