Jenny Sandoval est ce qu'on pourrait appeler une enfant de la balle. Sauf qu'au lieu d'écumer les planches des salles de théâtre ou le sable des pistes de cirque, c'est sur le plancher imbibé d'alcool du tripot de son père qu'elle apprit à marcher. La transition pour prendre sa relève était bien entamée quand le fameux séisme qui toucha San Francisco au matin du mercredi 18 avril 1906 ravagea complètement la ville, déclenchant de massifs incendies et tuant bon nombre de ses habitants dont son père et son amant, dont elle portait l'enfant. C'est donc démuni et dans la plus extrême pauvreté que Danny vint au monde dans les faubourgs de Chinatown. Les années passent et Jenny se refait rapidement la cerise, ouvrant tripots sur tripots et casino clandestin sur casino clandestin. Mais sa réputation sulfureuse conjuguée à une histoire de meurtre dont elle s'est rendue complice, l'oblige à se défaire de son fils de deux ans, du moins temporairement le temps que les choses se tassent (pense-t-elle), et de le céder à la prestigieuse famille Reynolds de Oakland. Les années passent encore et une fois bien établie et la tension redescendue dans la ville, Jenny est prête à abandonner sa vie de mafieuse et quitter Frisco dans la minute pour aller s'établit à Paris avec son fils maintenant âgé de six ans. Mais celui-ci ne reconnait pas sa vraie mère (comprenez mère biologique) et, par lâcheté ou grandeur d'âme, Jenny n'insiste pas. Elle suivra l'éducation de son fils dans les journaux locaux, la presse étudiante et sportive et sur le pré des stades de footballs américains où s'illustre le nouveau jeune homme. Le récit de ses exploits, elles les conserve jalousement dans un grand cahier qu'elle tient depuis qu'elle l'a abandonné à la bourgeoisie californienne. Une dernière fois les années passent et Danny, devenu un brillant avocat, brigue le poste de procureur de la ville. Émoi dans le milieu. Les collaborateurs de Jenny, qui contrôle à présent la ville depuis que la prohibition a été décrétée (rum-running oblige), voient d'un mauvais œil l'accession du fils prodigue au rang suprême de protecteur de San Francisco et tente tout pour l'en empêcher. Surtout depuis qu'il a ouvertement fait savoir sa volonté de nettoyer la ville de sa racaille. Mais sa mère ne peut se résoudre à lui causer le moindre mal ni le moindre échec. Aussi sabote-t-elle de l'intérieur le plan visant à le détruire. Le grand drame de sa vie, avoir abandonné son fils, tiendra finalement de la pure tragédie et les mains de son fils la corde qui la pendra.
Frisco Jenny est un film qui aurait pu faire date dans l'histoire du cinéma s'il avait pris le temps de prendre son temps. Ruth Chatterton est formidable dans le rôle de l'ange gardien maternel rongé par le sort et aurait mérité d'être d'avantage approfondi. Le reste de la distribution est à l’unisson de son personnage principal. La réalisation de Wellman ne l'est pas moins. Très sobre, efficace, appropriée, elle s’efface derrière son héroïne pour mieux nous faire ressentir ses émotions et souffrir avec elle. La narration elliptique enfin est également un choix judicieux. Mais encore un fois quel dommage que le scénario n'ait pas connu meilleur traitement. Car si le film est très loin d'être mauvais, cette histoire de séparation maternelle, de coup du sort et de jugement céleste (à savoir les coupables seront tous, un jour ou l'autre, confondus et leur bourreau à leur tour) aurait pu donner lieu à un truc immense. Un bon cru de l'ère pré-Code.