On prend conscience qu’on a cessé d’être un adolescent le jour où l’on perçoit la pose qui est la leur : ce besoin impérieux de se distinguer, cette inquiétude ontologique de la distinction, qui hurle « je ne suis plus un enfant, et ça me permet de déterminer que je ne serai JAMAIS un adulte du troupeau ». On les contemple avec distance, ou agacement, et très vite avec tendresse. Parce qu’on a dépassé ça, parce qu’on a renoncé, peut-être, parce qu’on a mué le refus en élan.


C’est exactement le regard qu’on pose sur Garden State, premier film de Zach Braff réalisé à l’aube de la trentaine. Tout est question de pose : dès le rêve introductif qui voit le protagoniste rester zen alors que la panique s’empare des passagers d’un avion en instance de crash, le ton est donné : notre protagoniste spleenétique va traverser un décor décadent sans prêter attention à ses signes ostentatoires de satire et de poésie mêlées.


C’est, d’une certaine manière, l’habillage d’une comédie musicale (la musique est omniprésente, et un grand nombre de séquences vire au clip) sur un parcours blasé, voire atrophié par les antidépresseurs.


On ne peut évidemment rester totalement dupe : cette course à l’originalité ne peut faire mouche à chaque fois, et le risque de la compilation un peu trop étoffée pour être honnête menace à plusieurs reprises. On le voit dans la maladresse de certaines séquences, qui n’existent que pour leurs idée (plastique ou de gag ponctuel) et ne parviennent pas à se conclure ou intégrer à la trame générale.


Il serait donc tentant de renvoyer l’adulescent à sa chambre puante en balayant d’un revers de la main ses simagrées.
…et pourtant.


Pourtant, l’inertie brandie par le personnage principal, cette anesthésie au monde qui fait trembler tout l’édifice se trouve secouée par l’irruption d’une petite fée en la personne de Natalie Portman et de l’hymne qui salue son entrée, j’ai nommé le sublissime New Slang des Shins. Ce qui nous irritait chez Zach nous enchante avec elle, et on acquiesce : pour être le plus ridicule possible, pour enterrer un hamster ou hurler face à une faille menant au centre de la terre.


Garden State, c’est cette promesse renouvelée d’une petite déchirure dans les carapaces, quand bien même on se serait protégé d’un casque spécial pour éviter les coups. C’est laisser un morceau de musique avoir sur vous l’effet d’une marée haute que vous serez le seul à voir.


C’est revenir un moment sur cette période où vous pensiez détenir des vérités profondes que personne ne pouvait comprendre, comme l’intensité de votre souffrance, la clairvoyance de votre rapport à certaines beautés du monde, ou l’immensité de votre colère face à la médiocrité du monde.


C’est baisser la garde, en l’honneur des vagues à l’âme et des élans d’un âge qui, finalement, n’est pas révolu.


Être touché par Garden State, c’est le contraire de la régression : le frimas de l’émotion est une preuve de vie : c’est découvrir, un temps durant, qu’on n’a pas abdiqué.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Adolescence, Fuite du temps, Les meilleures comédies romantiques, Les films qui rendent heureux et Les meilleurs films de 2004

Créée

le 7 juil. 2017

Critique lue 1.9K fois

62 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

62
7

D'autres avis sur Garden State

Garden State
Gand-Alf
8

No future ?

Coup d'essai, coup de maître pour le comédien Zach Braff qui fait ici ses débuts à la mise en scène. Sur un canevas qui avait tout de l'énième film indépendant branchouille (un jeune comédien...

le 25 août 2012

39 j'aime

3

Garden State
Before-Sunrise
4

Zack Baffe

Parfait prototype du film supra cool et hyper hype, Garden State est avant tout une compilation de clichés propres aux films indé américains. Un jeune type complètement névrosé et paumé à L.A. doit...

le 11 juil. 2012

31 j'aime

5

Garden State
Helpmefixmybike
8

Fuzzy fuzzy cute cute

Le genre de film qui vient s'enrouler autour de ton petit cœur d'emo. Lettre d'amour de Zach Braff à son adorée et détestée New Jersey, un peu décalé mais pas trop, drôle mais pas trop, mignon mais...

le 9 mars 2010

26 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53