Paging Mr. Corbett! Paging Mr. Corbett!
L'histoire vraie et romancée de l'ascension de James J. Corbett, jeune américain d'origine irlandaise vantard et ambitieux, depuis le guichet de sa petite banque de San Francisco à son titre de champion du monde des poids lourds glané à La Nouvelle Orléans contre Jack L. Sullivan. James fait partie de ses individus qui plie le monde à leur volonté et qui incarne le rêve américain. Une occasion, une opportunité. Il ne lui en faut pas plus pour s'élever de sa modeste condition à la haute société. Il en demande toujours plus. Après avoir défait maints adverses sur le ring en combats officiels ou sauvages, il veut maintenant faire ses preuves sur les planches du théâtre et interprété du Shakespeare. Hamlet en particulier :
"To be, or not to be: that is the question:
Whether 'tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles,
And, by opposing, end them."
Sa réponse est une évidence. Son seul désir, et le désir est le luxe de ceux qui n'ont rien, est de s'émanciper de la rudesse de la rue pour vivre dans le luxe et l’opulence des fastueux appartements victoriens. Grandes cheminées de marbre, costumes trois pièces, queue-de-pie, chapeau melon, champagne à volonté, tel est la conception du bonheur made in James Corbett. Après tout, chacun, riche ou pauvre, a commencé dans la rue. Et sa famille et lui sont en passe de quitter un monde pour en rejoindre un meilleur. L'opportunité s'est présentée, il l'a saisie. Ce qui ne devrait pas déplaire à Victoria Ware, la riche et charmante héritière qu'il convoite, qu'il déteste, qu'il aime, qu'il hait, qu'il adore :
"...you know there really aren't two sides of the tracks to San Francisco. There's only the lucky and the unlucky, those that happened to grab the right moment and those that didn't, and don't you let this Nob Hill crowd deceive you either. After all, we all started out with the same wooden washtubs."
Que l'autobiographie The Roar of the Crowd de James J. Corbett ait tapé dans l’œil du réalisateur n'a rien d'une surprise tant le gentleman boxeur est le prototype du héros "Walshien", toujours à la recherche de plus. De plus d'argents, de plus de corde à son arc, de plus de lignes à son CV, de plus de défis, de plus de tout. Et qui de mieux pour incarner cet insolent mais irrésistible et séduisant mais insupportable boxeur que l'insolent mais irrésistible et séduisant mais insupportable Errol Flynn? Lui-même grand amateur de boxe (et ancien pratiquant dans sa jeunesse), l'acteur apporte au personnage de Corbett beaucoup de ses qualités et de ses défauts (qui s'avèrent en réalité dans son métier de comédien, de vraies qualités). Il s'impliqua comme jamais pour un rôle et accepta une nouvelle fois les contraintes professionnelles imposées par le réalisateur (à savoir une assiduité, un comportement et un professionnalisme exemplaire sur le plateau, la base serait-on tenté de penser). Il alla plus loin encore et demanda à réaliser lui-même ses cascades et ses combats. Il suivit pour l'occasion un entrainement physique intense et violent qui l'affuta comme dans sa sobre jeunesse et poussa si loin les limites de son coprs qu'il s'effondra un après-midi sur le plateau, victime d'une insuffisance cardiaque sans gravité.
"Ce rôle plaisait à Flynn et il se conduisit correctement tout au long du tournage. Il s'exerça assidûment dans le gymnase afin d'être en forme pour les nombreux combats que nous devions tourner. Nous utilisâmes le plateau 22, le plus grand du studio, pour filmer le combat de boxe de La Nouvelle Orléans. Le chef opérateur, cherchant à économiser de l'argent sur la figuration, dressa une grande toile de fond sur laquelle il peignit cinq cents spectateurs en train d'assister au match. Mais la Guilde des Acteurs eut bientôt vent des personnages peints sur la toile et nous obligea à la retirer pour la remplacer par de vrais figurants. Flynn et Ward Bond se donnèrent tellement à fond dans le combat que les figurants applaudirent pour de bon" se souvient Walsh dans ses mémoires.
A l'instar des combats qui émaillent son film, Walsh fait montre d'une réelle virtuosité dans sa mise en scène : sans artifices particuliers ni mouvements compliqués, sa précision et sa vitesse d’exécution forcent le respect. Pas une scène n'a pas sa place, pas un plan n'est en trop. Le film est à l'image de ces matchs de boxe, jamais répétitifs et brefs sans être expédiés. Ça tient du génie. Chaque combat est différenciable du précédent et du suivant de par sa construction narrative, sa localisation sur un ring à Frisco ou à La Nouvelle Orléans ou sur un embarcadère de la ville, sa mise en scène (plan large, plongée, gros plan sur les jambes) et son issue. Tout est calculé à la précision, épuré au maximum et confère au métrage sa fluidité et sa célérité folle. Au centre de ce film mené tambour battant qui file à cent à l'heure Errol Flynn régale et prouve à qui en doutait encore quel acteur incroyable il était et pas seulement en costumes (même si une fois de plus, les collants lui vont à ravir). Il retrouve pour la deuxième fois Alexis Smith (après Dive Bomber) et trouve en elle la parfaite remplaçante d'Olivia. Côté fidélité, le débonnaire Alan Hale se place là et interprète le père bien irlandais et grande gueule de Flynn. Ward Bond, enfin, excelle en brute épaisse (le morceau quoi!), irascible et imbue d'elle-même et touche profondément quand, vaincu, il remet à Errol son trophée de champion du monde poids lourd. Et l'instant d'une scène les deux boxeurs redeviennent humbles. Avant que le premier ressorte menton relevé et le second retrouve sa panoplie de matou enjôleur. Un vrai bol de bonne humeur.