Get Me Some Hair!
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Documentaire TV de Lars Barthel (2019)

L'air de rien, sur le chemin du trauma

Tourné un peu comme un "j'irai dormir chez vous", ce documentaire a le mérite de mettre en lumière un thème qui est beaaaaaaaucoup trop tu et invisibilisé: le rapport aux cheveux crépus.
Loin de moi l'envie de vouloir parler au nom de toutes les femmes noires du monde, j'annonce quand même mon prisme d'observation: jeune- femme- noire- ayant toujours grandi en France.


Voilà. Maintenant que le cadre est posé, entrons dans la critique.


Le premier mot qui m'est venu à l'esprit en terminant le visionnage était "gênant". Derrière sa caméra, Lars m'a paru voyeur, enclin au mythe de l'exotisme, à la limite d'une perversion. Je n'ai pas ressenti ça tout du long mais les fois où ces sentiments apparaissaient était si fulminantes que c'est ce qui me reste le plus en tête.
J'ai aimé la longue chronologie de leur récit de vie! Quel travail! Ses images sont étalées sur plusieurs décennies et on sent le cheminement de pensées par lequel il passait en filmant puis en montant son œuvre. Et c'est justement ce cheminement qui me parait essentiel à décortiquer.


Antoinette est une adolescente avec plusieurs enfants quand Lars la rencontre. Elle semble gérer seule cette vie de famille et à aucun moment je ne l'ai entendu se plaindre de cette situation. Je n'ose imaginer la charge mentale et les responsabilités que ça implique. Que ce soit culturel ou non, élever des enfants en étant monoparental m'a toujours paru être une force surnaturelle et me renvoie à des questions sur le retentissement du patriarcat.


Revenons à nos cheveux.
Antoinette est présentée comme ayant une obsession pour les perruques. Pourtant, en la voyant, je n'ai rien vu de plus que chez les autres femmes noires que j'ai côtoyé. Beaucoup changent de coiffure tous les mois: nouveau tissage, nouvelle perruque, nouvelles tresses avec rajout de mèches. Alors avons-nous toutes une obsession ? Je ne suis pas convaincue. Je crois que le genre féminin se construit très tôt avec l'injonction "tu dois être jolie et prendre soin de ton apparence" quel que soit son apparence ethnique. Toutefois pour les Noires, c'est une toute autre histoire: on te fait très vite comprendre que tu ne seras pas considérée comme belle avec les cheveux qui t'ont été mis sur la tête à ta naissance. On t'apprend à ne pas aimer ce qui est pourtant ta nature, et cet apprentissage n'est pas explicité non… C'est plutôt transmis insidieusement de mère en fille, de grande à petite sœur, d'idole médiatique à fan, d'influenceuse à consommatrice des réseaux sociaux.


"Dieu nous donna l'esclavage et des cheveux crépus." est la phrase d'Antoinette qui résume le mieux le soucis. Il est ici question d'économie et d'estime de soi. Dégradées pendant des siècles, les différentes personnalités noires ont en commun une apparence. Peut-être est-ce peu, peut-être que certains trouveront cela futile mais la stigmatisation est durable et profonde. Elle nous conduit souvent à ignorer qui nous sommes dans le fond et a n'admirer que ce qui nous ressemble le moins. La souffrance qu'a été le crime contre l'humanité qu'est l'esclavage est telle qu'elle a permis à enrichir certains au détriment de la reconnaissance d'humain chez d'autres. Je ne suis pas très claire et je n'arriverai pas à faire mieux aujourd'hui. Mais j'espère réussir à montrer le parallèle que je retrouve ici entre la traite des Noirs et le commerce du faux-cheveux.


Les déséquilibres mondiaux sont écœurants de persistance. Et quand je vois, dans ce film du 21ème siècle, une jeune fille de Birmanie au bord des larmes car on l'oblige à couper ses cheveux et les vendre pour subvenir aux besoins de sa famille, je ne peux qu'avoir envie de vomir cette économie. On me répondra que c'est comme ça et qu'il faut que je m'y fasse. Qu'il y a toujours eu des inégalités et que c'est ce qui fait tourner le monde. J'ose espérer que ceux qui me disent cela recevront des pluies de mon vomi sur eux quand les choses auront évoluées. Histoire qu'ils se souviennent de temps en temps…


Evidemment, un tel message du cœur ne peut pas venir d'une experte en économie, marketing, esthétique ni rien. J'espère donc réussir à ne pas trop exaspérer ceux qui auraient ces expertises, mais plutôt à faire émerger des questions, notamment en prenant le temps d'aller voir ce film. Dispo gratuitement sur Arte pendant plusieurs mois encore.


Sinon heureusement, il y a des tas d'initiatives qui émergent ces temps-ci pour revaloriser les personnes noires et leur rappeler qu'elles sont belles et que l'Histoire n'a pas attendu que les autres valident leur existence pour leur faire faire des grandes choses. Je pense aux œuvres de Léonora Miano, je pense aux Etoiles Noires de Lilian Thuram, je pense à tous les films et hommages subliminaux de Spike Lee, je pense à la page Instagram Grandeur Noire (découverte il y a quelques jours), je pense à la youtubeuse Crazy Sally qui, d'ailleurs, a fait une vidéo au sujet des cheveux crépus
Il y a de quoi se documenter, il y a de quoi se revaloriser et j'ose espérer que le résilience sera bientôt notre !


Dernier point: j'ai trouvé le choix de la dédicace du film vraiment contradictoire avec le sujet. Franchement Lars si vous passez par là… WHAT?! Dédicacer le film à votre fille, celle même que vous interviewez pour obtenir des infos qu'Antoinette n'a pas voulu vous donner, ça ça aurait été judicieux!
Enfin bon… ce n'est que mon avis, après tout.

Melissabllo
6
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Créée

le 4 avr. 2020

Critique lue 184 fois

Mélissa

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