Le titre de la critique doit être entendu au second degré – comme un spoiler (mais qui ne révèlerait rien du contenu et qui ne porterait que sur la tonalité à la fois ironique et "politique" du film), comme un résumé, une synthèse de tous les stéréotypes "positifs" véhiculés sur les noirs et qui sont ici finement mis à mal.


Le prologue, très réussi, qui restera longtemps très détaché du récit, ressemble (mais attention aux apparences) à celui d’un film d’épouvante très classique : la nuit, le personnage seul et inquiet, la voiture qui entre presque discrètement dans le champ, se rapproche, s’éloigne avant de faire demi-tour et de s’immobiliser, l’inévitable jump scare … Mais il y a rapidement des décalages, des distorsions importantes, la musique rythmée et très enjouée qui s’échappe de la voiture, peu évocatrice de ce genre de cinéma et surtout l’inversion du contexte : le personnage, la victime en devenir n’est pas un(e) jeune bourgeois(e) égaré dans la zone, du côté du Bronx ou d’ailleurs mais un jeune noir perdu et très inquiet, perdu dans les beaux quartiers. Le spectateur ferait bien de se méfier : le cadre peut sembler classique, mais …


La suite, sensiblement plus faible, une vague chronique sentimentale assez longuette au sein d’un jeune couple mixte, sans aspérités, avec l’ami un peu lourd sensé apporter la touche comique, d’un intérêt assez relatif pour la romance, d’un intérêt très approximatif pour l’interprétation, tout cela semble nous entraîner en pleine série B, du côté de Nanarland. Pourtant, après coup sans doute, on peut aussi voir là une fausse piste délibérée – un peu à la manière du prologue de Gone girl décrivant les relations presque idylliques entre l’homme et la femme …


Très classiques encore, toutes les références au genre et à ses diverses déclinaisons : la secte et ses membres fanatisés, mais apparemment très avenants ( qu’on retrouve régulièrement de Rosemary’s baby à Hurlements), le savant illuminé et sa chirurgie sanguinolente (avec une référence explicite, presque une citation, aux Yeux sans visage de Georges Franju), la manipulation mentale par l’hypnose, la résolution finale dans un pandémonium sanglant avec les méchants qui n’en finissent pas de ne pas mourir …


Mais en réalité Get out détourne habilement tous les codes :


 C’est le jeu continu sur la confusion des genres ; après le prologue classique (?) de tout film d’horreur, on passe successivement de la chronique romantique à la comédie (les pitreries du copain, le côté balourd du beau-père, bavard impénitent et fan redondant d’Obama), avant que l’humour ne vire au rire jaune avec les remarques des invités tournant à la pire des beaufitudes, ; c’est alors que l’angoisse monte progressivement, à travers l’attitude très singulière des deux domestiques noirs, jusqu’à l’immersion dans le fantastique avec la séance imposée d’hypnose et une plongée onirique totalement incontrôlée (et plutôt bien réalisée malgré des moyens réduits) et à l’horreur finale, plus que violente, mais pas forcément premier degré.
 C’est l’ambigüité fondamentale des personnages quand un sentiment de malaise d’abord diffus, puis de plus en plus fort commence à s’emparer du personnage ; car l’inquiétude ne provient pas du comportement très accorte, très ouverte de ses hôtes blancs mais de celui très singulier, très menaçant du couple noir des domestiques, dans leurs actions ou surtout dans leur phrasé et plus encore dans leurs regards, plus que singuliers ;
 C’est le détournement, qui échappe évidemment au spectateur comme au héros, de plusieurs scènes classiques, comme la classique promenade de nuit en forêt et en amoureux (suggérée par la jeune femme), qui permet en fait de masquer une autre scène autrement inquiétante présentée en montage alternée, la scène clé des enchères et du bingo.
 C’est même l’ambiguïté fondamentale, là encore perceptible après coup, peut-être même après la fin du film, du titre apparemment anodin – Get out (barre-toi !) Ces mots sont adressés par l’unique invité de couleur, soudain pris d’une agressivité aussi violente et incontrôlée qu’inexplicable contre le jeune héros qui avait essayé de nouer le contact avec lui. Et l’on ne peut pas sentir immédiatement la double signification possible de la formule – sauve-toi ! dans le sens de Dégage, tu n’as rien à faire ici, ou bien dans le sens, très différent de Sauve-toi pour te protéger, échappe-toi!
 C’est encore l’humour et l’ironie dans la meilleure scène comique de Get out – celle où l’ami du héros, plus qu’inquiet, convaincu qu’il a affaire à un trafic "d’esclaves sexuels " (et somme toute …) vient en faire un compte rendu délirant à des collègues policiers et n’obtient en retour qu’un éclat de rire collectif et irrésistible, face à l’invraisemblance et au ridicule apparent de son témoignage. Mais ce rire à cet instant c’est aussi celui du spectateur, aussi parfaitement manipulé que les personnages du film.
 C’est enfin une belle trouvaille poétique – l’étincelle de vie, la permanence d’un fragment individuel d’humanité par delà la lobotomisation, qui se déclenche soudain à l’occasion d’instants déterminants pour l’évolution du récit chez toutes les victimes. De façon encore plus étonnante, il semble que ces instants soient provoqués par le déclenchement du flash à chaque fois que le héros veut prendre une photo. Le pouvoir de résistance du cinéma ?


On commence alors à réaliser que tout le film fonctionne comme une grande manipulation du spectateur, très ludique et portée par un montage extrêmement dynamique. On aurait pu regretter le caractère finalement optimiste et consensuel du final alors que la chronique d’une fin annoncée, avec l’arrivée d’une voiture de police à l’instant même où le héros, fusil à la main et entouré d’une cohorte de cadavres très sanglants se trouve assez mal embarqué, une telle fin aurait pu peut-être encore renforcer la dimension « politique » du film. Cela dit on appréciera davantage de rester dans le registre de la comédie, dans celui du jeu, de la manipulation où le spectateur finit par se laisser embarquer avec le plus grand plaisir. On tient peut-être là une version contemporaine, subversive et subtile de la blaxploitation.

pphf
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le 14 mai 2017

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