C’est bien connu, rien de tel pour légitimer un film de série B que d’expliquer aux snobs ses strates contestataires ou vitriolées : par le petit bout de la lorgnette d’un thriller ou d’un film d’horreur, on aborderait ainsi, par les masses et pour elles, ce que le blockbuster s’interdit depuis longtemps.
Get Out a le mérite de ne pas prendre de détour sur ce sujet : pas de hasard, pas de coïncidence, pas de métaphores voilées : il traite du racisme viscéralement ancré dans la culture des élites américaines, et pousse le bouchon, via un argument scientifico-horrifique vaguement grotesque, jusqu’à une forme d’eugénisme assez bien troussé.


Il était très aisé, sur ce canevas, de nous servir un thriller sans âme. Jordan Peele se distingue d’emblée par sa maitrise, tant dans l’écriture que la mise en scène.
Alors que la scène d’ouverture nous prépare à une violence, elle-même promise par une bande-annonce formatée au possible, le récit va longuement prendre le contre-pied des attentes : il s’agit avant tout de mettre en place un portrait, une incursion sociale malaisante dans l’élite blanche qui ressemble sur bien des points à l’aristrocratie fin de race d’une autre époque. Les intérieurs surcadrés, la photo dorée, les visages souriants et auto-satisfaits des notables détournent avec malice la vision classique du racisme. Ici, on se plait à répéter qu’on aurait voté pour Obama une troisième fois si on avait pu. Chris, nouveau venu inquiet de sa différence, accompagne l’inquiétude du spectateur dans un mélange de scepticisme et de paranoïa.


Quelque chose, indéniablement, ne tourne pas rond. Mais en prenant son temps, Peele privilégie le sentiment d’inadéquation sur le slasher horrifique attendu. Et c’est dans ces séquences (un repas qui dérape en restant toujours sur le fil, une séance d’hypnose tamisée et glaçante, une garden party trop cordiale pour être sincère) que la tension est de loin la plus convaincante. Alors qu’on donne le sentiment de revenir près de 150 ans en arrière (rien, dans la fastueuse demeure, ne semble pouvoir le contredire), le sidekick noir resté au bercail et pressentant le coup fourré donne le change. Si l’humour qui lui incombe n’est pas toujours efficace, il est surtout la touche contemporaine qui permet accroître le malaise face à ce monde resté figé, et dans lequel on ne se remet pas de la victoire d’un noir aux J.O. face à Hitler.


Chaque récit horrifique, ou fantastique, se doit de trouver une jonction pour parler au spectateur, l’impliquer et le rendre réceptif à l’improbable. C’était, par exemple, la sexualité dans It Follows, ou le comportement grégaire des consommateurs dans Le Crépuscule des Morts vivants. Dans Get Out, la thématique de l’hypnose a ceci de malin qu’elle renvoie à une idée plus large, celle de l’aveuglement. Ou comment montrer que nous vivons dans une société qui se voile la face, à qui on a pu laver le cerveau par le savant entretien d’apparences trompeuses.
Constat pessimiste et au cynisme assumé, et dont la radicalité sauve le dénouement du film.


Le rôle de la petite amie blanche ne sera pas sacrifié sur l’autel des conventions d’écriture, celle-ci se rangeant allègrement du côté de la caste dominante. Mais le massacre cathartique ne valorise pas non plus à outrance le héros : sa violence extrême satisfait certes une vengeance pour le spectateur, mais semble aussi prolonger le cauchemar dont on aimerait sortir. Le fait, par exemple, que les gyrophares d’une voiture soient mauvais signe pour lui atteste de la brillante réussite du réalisateur : plongé dans le point de vue du Noir, nous considérons désormais la police - à savoir l’ordre établi - comme potentiellement hostile.


Petit malin, Jordan Peele braque pour nous son objectif, un thème structurant du film : Chris prend des photos, et l’une des conséquences de l’hypnose le voit se remémorer avoir été, enfant, tétanisé devant la télé ; la vision qu’il a de ses ravisseurs lors des plongeons se fait par une lucarne qui a tout d’un écran, et sa plus grande souffrance est manifestée par une paralyse faciale, les yeux grands ouverts et ruisselants de larmes. L’école du regard passe par un trauma nécessaire : face aux aveugles possédés, c’est le flash qui réveille… un appel piquant à l’Amérique sommée de s’extraire de sa torpeur malade.

Sergent_Pepper
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le 16 mai 2017

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