Ghost dog c’est toute la grandeur du samouraï de jidai-geki confrontée à la vie américaine dans les quartiers reculés. On y retrouve les luttes claniques du Japon féodal incarnées par les mafieux et gangs de rue. Toute la gestuelle et les bruitages qui accompagnent ses mouvements sont ceux, gracieux, de la maitrise du sabre, de la chorégraphie du combat, tandis qu’il use d’une arme à feu ou d’un CD. Si Ghost Dog affirme servir son maître, il est bien plutôt sur le chemin du ronin esseulé, qui fuit l’appartenance à tout clan et qui tue pour sauver sa peau plus qu’il ne tue par vengeance. Il a choisi la solitude, et s’éloigne des Hommes, il vit avec les pigeons, parle peu... Le seul moment où ses émotions semblent frémir sous son masque de sage est celui qui le place face à la mort de ses oiseaux. En cela le personnage semble afficher une véritable absence d’humanisme, que traduit son mutisme. Ce qui nous touche tant dans ce film, c’est qu’il est fait de petites touches, de clins d’oeil enfantins aux dérives de la société : les méchants regardent les dessins animés qui semblent les avoir presque conditionné à occuper la place du méchant ou qui du moins, les ont abruti, tandis que les gentils lisent des livres, sont bercés par d’autres cultures



« le Japon ancien est un endroit assez étrange »



; et la radio alterne sans cesse entre recommandations et prescription des glaces : trop sucrées, pas assez de calcium. Ainsi, sa rencontre avec la petite fille, qui semble en tous points son double miniature traduit la notion d’héritage, de foi en l’Homme, pourvu qu’il choisisse la bonne voie. Cette voie, il lui indique par des lectures, des livres qui devront la détourner des dessins animés et lui transmettre les valeurs ancestrales. Cette dualité entre monde ancestral idéalisé et monde moderne corrompu réapparait dans l’alternance des codes du film noir avec ceux d’un cinéma plus onirique, plus contemplatif, qui joue de fondus sur le ciel, sur les oiseaux, sur les ralentis,la musique hypnotique de RZA. Entre ces deux mondes, Ghost Dog, deux yeux qui semblent dire deux choses si différentes, un personnage qui nous intrigue autant qu’il nous fascine et qui porte à lui seul le questionnement des valeurs ancestrales dans le monde moderne comme l’exprime finalement la dernière citation qu’il fait du Hagakure:



« Ce qu’on appelle l’esprit du temps est une chose qui lorsqu’elle
passe ne revient jamais, Si cet esprit se dissipe lorsque le le monde
arrive à son terme. De même une année ne connait que le printemps et
l’été ; un seul jour ne connait pas que l’aube et le zénith du midi.
Il nous est donc impossible quand bien même le souhaiterions nous de
toute notre âme, de retrouver aujourd’hui l’esprit du temps d’il y’a
100 ans et plus. La seule chose qui nous est accordée est de faire
mieux à chaque génération. Vouloir revenir en arrière est l’erreur
funeste des peuples nostalgiques. Ils ne comprennent pas qu’on ne
revient pas sur ce qui est passé. »



Un film d’une grande sagesse qui ne sacrifie pas pour autant les élans comiques et légers des autres personnages et qui parvient de cette alternance même des tons, à envouter le spectateur.

Kenzavannoni
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le 3 mars 2016

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