Dur, dur de faire un film qui porte le même nom et dans le même univers qu'un chef d’œuvre iconique (et presque prophétique) pour toute une génération. Plus de 20 ans après le film d'animation qui avait bouleversé le regard des européens sur l'animation japonaise, faisant rentrer celle-ci dans l'ère adulte après les proclamée "japoniaiseries" du PAF, un film à grand spectacle sort. Au moment d'aller le voir, de vagues échos de "white washing", de flop au box-office et de bandes-annonces calquées sur l'animé étaient parvenus jusqu'à moi. Rien de réellement flatteur, si ce n'était pire. En sortant de la séance, le bilan est beaucoup plus contrasté que j'aurais pu l'imaginer.
Oui, la filiation graphique d'avec l'animé est assez incroyable, certains plans et scènes cultes sont là, très bien rendus. L'univers visuel développé dans le film va même au-delà, et se révèle touffu, complexe, fascinant. Chapeau bas là-dessus.
Non, l'histoire n'a pas grand chose à voir dans le fond avec l’œuvre originale. Et là où le bât blesse, c'est que la transposition de ce nouveau scénario sur l'ancienne structure narrative, pour aussi perfectionniste qu'elle se soit voulue, ne réussit pas vraiment à convaincre. Le personnage du Major en est l'exemple parfait : mêmes codes graphiques, mêmes tenues... mais ça ne colle pas vraiment. En faute, un changement assez radical d'univers voulu par les scénaristes pour donner un coup de jeune au concept. La dimension très politique de la section 9 disparaît, hors Batou et le major, les autres membres sont juste ébauchés, et pour être honnête, c'est même à se demander pourquoi ils sont là. La question du piratage des ghosts est (à peine) abordée, mais de manière instrumentalisée, comme un prétexte pour juste faire avancer l'histoire. En voulant faire du Major la "première de son espèce", en gommant toute la dimension technologique de la cybernétique qui est pourtant omniprésente dans l'univers original de Ghost in the Shell, on réduit la technologie à l'aspect de technique, et on confond capacité et compétence. Les scénaristes nous confrontent donc à la peur d'une innovation aux mains des grandes industries, plutôt qu'à l'évolution de l'humanité face à un changement de paradigme technologique. Nous voici donc face à une héroïne programmée pour être une arme, produit malgré elle d'une expérimentation révolutionnaire, et au final jouet des événements. On est loin de l'héroïne originale aguerrie et résolue qui lutte contre le déterminisme d'un réseau d'information qui semble inexorablement conditionner l'humanité.
Non, le film n'est pas nul pour autant, loin de là : si il souffre de moments de flou, de facilités scénaristiques et de quelques longueurs, il n'est pas exempt de moments de grâce et de belles scènes d'action. Quand on quitte les plans sombres et confus (qui sont censés mettre de l'intensité philosophique dans l'histoire, je présume), ça bouge bien et c'est assez fascinant, même si la musique n'est pas au niveau de l'ovni inoubliable de Kenji Kawai.
Pour ce qui est du white washing reproché au film : il dépend du niveau de lecture qu'on en fait. En surface, il est grossier, si on creuse un peu plus, il est justement dénoncé, et au final, on peut imaginer que les scénaristes auraient pu aller plus loin dans cette dénonciation, mais... difficile de leur reprocher. Le mieux est encore de se faire sa propre idée : de manière générale, ce film le mérite.