- People should know when they are conquered.
- Would you, Quintus? Would I?

Comment savoir que l'on est vaincu si l'on ne l'est, fi des apparences, pas. Porté pour mort par la garde Prétorienne, veuf et père d'un enfant assassiné (sic), esclave devenu gladiateur, l'ancien général romain Maximus a pourtant toute les raisons de s'avouer vaincu. N'eut été son indestructibilité, son invincibilité et l'envie de se venger, c'est sans doute ce qu'il aurait fait. Mais voilà, pour les raisons précédentes, le général revient d'entre les morts pour assouvir sa vengeance. On ne conquiert jamais rien dans le sang, ni un pays, ni un empire (à fortiori), encore moins un homme (et des hommes). C'est pourtant ce que Marc-Aurèle s'est employé de faire durant vingt années sur vingt cinq de règne. Ce n'est qu'au seuil de la mort qu'il s'en rend compte et qu'il s'en repend. Aussi vaste et puissant l'empire soit-il, au sein même de la capitale, de Rome, l'ont meurt de faim et la peste décime des quartiers entiers. Un mal que son fils dégénéré et fanatique Commode ne peut comprendre dans sa pleine mesure. En conséquence de quoi, c'est à son meilleur général, auréolé d'une énième campagne victorieuse, qu'il décide de laisser les lauriers de césar avant, qu'un jour, le sénat soit seul maître de l'empire. Affabulations! Digressions! Dernier délire d'un vieille homme sur le déclin pense Commode. Ultime bravade également : après vingt-cinq ans de règne sans partage voilà qu'il lui pousse des ailes d'anges. "There was once a dream that was Rome, you could only whisper it. Anything more than a whisper and it would vanish. It was so fragile and I fear that it will not survive the winter." Sens donc la fragrance lavande de ma toge papounet.


"The beating heart of Rome is not the marble of the senate, it's the sand of the coliseum."

Entrée grandiloquente et triomphale de Commode dans Rome. L'iconographie nazi n'est pas loin. La foule s'est amassée en nombre, et elle hurle à l'injustice. Hélas le nouvel empereur est aussi dangereux que sournoisement intelligent. Les affaires du sénat l'ennuie et leur insistance à régler les grandes questions urbaines lui semble mesquine, tant lui se pavane dans l'allégresse pendant que le peuple qu'ils est censé représenter souffre dans la misère. Et il a bien compris que, faute de mieux, la plèbe se contenterait d'un exutoire, d'un massacre orchestré, où la mort des gladiateurs conjurerait la leur et penserait leur peur dans une immense catharsis collective. Panem et circenses! Méthode peu ragoutante il est vrai mais diablement efficace. A leur manière, les grands tyrans de leur époque étaient déjà des professionnels de l'entertainment, des artistes de la séduction et des maîtres dans l'art de duper la foule et se la mettre dans la poche. Mais Commode a en moins la maturité. Et l'infantilisme qu'il manifeste le pousse à se croire dans son bon droit. Pollice verso.


"I wasn't the best because I killed quickly. I was the best because the crowd loved me. Win the crowd and you'll win your freedom."

Autre entertainer de haut vol, le laniste Proximo. Ancien esclave affranchi par le magnanime Marc-Aurèle, avant qu'il n'interdise les jeux du cirque, il a troqué le sandales et les haillons du gladiateur et le tumulte fracassant des armes sous l'accablante chaleur de l'arène pour le raffinement et le luxe qu'offre sa condition et la fraicheur des gradins. Quand l'empereur Commode organise des jeux en l'honneur de son père défunt (et pour endormir le peuple romain) et mande les meilleurs combattants de l'Empire, il quitte sa province désertique d’Afrique du Nord pour Rome où ses gladiateurs sont attendus dans le Colisée. Un en particulier est plus attendu qu'aucun autre. Il s'est forgé une solide réputation sur le sable provincial et se fait appeler Spaniard. L'invincible général d'outre-tombe est de retour. Pour être exact c'est en fait la première fois qu'il entre dans la cité de lumière. Il a combattu aux confins du monde sous l'aigle de sa bannière mais n'y avait encore jamais posé les pieds. En tout cas, il y est à présent, hanté par la mort, rongé par la haine.


- How dare you show your back to me! Slave, you will remove your helmet and tell me your name.
- My name is Maximus Decimus Meridius. Commander of the Armies of the North, General of the Felix Legions, loyal servant to the true emperor, Marcus Aurelius. Father to a murdered son, husband to a murdered wife. And I will have my vengeance, in this life or the next.

L'art de la guerre le fait triompher, ses amis et lui, sur le près du Colisée. Son arrogance, sa détermination et son désintéressement politique en font le symbole de la gronde populaire. Un symbole que Lucilla, la sœur de l'empereur, et le sénateur Gracchus vont tenter de récupérer pour le salut de Rome. Un complot destiné à destituer, et accessoirement tuer, Commode se monte alors dans l'ombre avec la complicité de l'armée romaine et des gladiateurs de Proximo. Échec au roi. Mais César a ses sbires un peu partout dans la cité et la supercherie et l'identité des commanditaires lui sont vites révélées. La répression se fera brutale. Dans le sang pour les uns et dans la peur pour les autres. La malheureuse Lucilla, mère d'un petit garçon orphelin de père et héritier de l'empire, avait déjà beaucoup de mal à contenir l'émotivité exubérante de son frère avant ça. Désormais c'est avec le spectre planant de la mort de son fils et de l'inceste qu'elle devra vivre pour l'avoir trahi. Am I not merciful?


"Maximus. Maximus. Maximus. They call for you. The general who became a slave. The slave who became a gladiator. The gladiator who defied an emperor."

L'apothéose du film. L'amphithéâtre est chauffé à blanc. Deux hommes apparaissent au centre de l'arène entourés par une formation de la garde Prétorienne. Ils sortent littéralement du sol, sous la clameur de la plèbe et le tourbillonnement des roses qui s'étalent sur le sable brûlant et aveuglant du Colisée. L'instant est grave et solennel : un empereur va mourir ou asseoir sa domination pour des âges. La tension est palpable. Il flotte dans l'air une ambiance paix et de mélancolie. Le temps semble suspendu. La mort rôde dans les gradins, impatiente d'accueillir une nouvelle âme. Maximus y est presque. Il a déjà commencé sa traversé dans l'au-delà. Sa femme et son fils de son plus très loin désormais. Le vent souffle sur les champs de blé ondulant. Les épis plient sous ses mains et les cyprès sous la brise. Dans les entrailles du Colisée, Commode lui a lâchement porté le coup fatal. Les gardes se déploient, délimitent le périmètre du combat et les deux ennemis s'élancent l'un sur l'autre dan sun silence indescriptible. Le sang coule le long de sa jambe gauche en un flux continu et sèche puis s'évapore presque instantanément sous le soleil cuisant de midi. Maximus est presque mort. Il désarme pourtant Commode et lui porte l'estocade. Sheathe your swords! Sheathe your swords! L'empereur est maintenant seul. Maximus aussi. Un muret et une poterne. C'est tout ce qui se dressent à présent entre les siens et lui. Il y est presque. Commode s'élance pour la dernière fois armé d'une courte dague qu'il avait dissimulé dans son armure. La même qui avait transpercée la chaire du général. Elle lui entre entièrement dans la gorge. Lentement. Le temps de ressentir le froid de la lame. Le temps pour Quintus de comprendre qu'un homme ne se sait vaincu qu'aux portes de l'éternité. Maximus en a finit. Il s'écroule. Mort. Échec et mat. Black Hawk Down.


Is Rome worth one good man's life? We believed it once. Make us believe it again. He was a soldier of Rome. Honor him.

Film de mon enfance. Devant même (et souvent avant même) Gone with the wind, Titanic, les deux premiers Harry Potter ou le seigneur des anneaux. J'estime au bas mot à cent le nombre de visionnage. Je me souviens par exemple distinctement d'un dimanche matin où, encore abasourdi par la séance de la veille, je me levais avec la ferme intention de le revoir une fois. Il est neuf heure du matin, je lance la cassette. Je revis les mêmes émotions, encore et encore, je suis transporté comme à ma première vision au cinéma. Le film se termine. Il est dix-neuf heure passé. Je l'ai regardé quatre fois consécutivement. A chaque fois que je le relançait je m'avançais un peu plus de l'écran. J'avais quitté mon canapé et m'étais installé sur un pouf. Je sors la cassette du magnétoscope et me retourne pour attraper son coffret que j'avais laissé dix heures plus tôt sur le canapé. Le coffret n'y est plus. Mes sœurs et mes parents si.

Quand je l'ai revu hier soir au palais des congrès en ciné-concert, cela faisait plus de dix ans que je ne l'avais plus regardé. Forcément le film avait un peu perdu de son prestige et de sa magie et cependant je ne pouvais croire que je m'étais si longtemps fourvoyé à son propos. Et en effet je ne m'étais pas trompé. De la scène d'ouverture infernale, bruyante, sanglante, apocalyptique et incendiaire dans la forêt germaine à la dernière image de Juba qui enterre les reliques de Maximus dans le sable du Colisée tout est prodigieux. L'introduction donc, sa forêt de pins spécialement brûlée et consumée pour l'occasion, la bataille filmée a des vitesse différentes avec la musique envoutante de Zimmer en fond, l'assassinat de Marc-Aurèle et la prétendue mise à mort du général. Rome, grandiosement reconstituée, fastueuse, écrasante, grouillante. Le sénat, froid, bleuté par son marbre et le Colisée, rougeoyant et ocre comme le sable et le sang qui le recouvre.. La scène finale...

Artistiquement, Gladiator est assurément la plus grande réussite de Ridley Scott. Sans reparler de la perfection des reconstitutions architecturales et vestimentaires (qu'on soit en Germanie, à Rome ou ailleurs en province), il faut louer la direction d'acteur et l'ensemble du casting. Au jeu de Russell Crowe (oscarisé) sobre, fantomatique et hanté se marient en effet incroyablement bien ceux habité, fantasque et fou de Phoenix, exceptionnel en psychopathe parricide et incestueux, et tendre, digne et courageux de Nielsen. Dire qu'on aurait pu avoir Banderas et Lopez... Les seconds rôles ne sont pas en reste puisqu'aux côtés du regretté et immense Oliver Reed (décédé durant le tournage avant d'avoir terminé toutes ses scènes d'où un remaniement scénaristique) auquel est dédié le film, s'ébattent des trognes comme on en a rarement vu de pareilles réunies : Richard Harris (autre pointure) en Marc-Aurèle, Djimon Hounsou en Juba, Derek Jacobi en Gracchus, Tomas Arana en Quintus, Ralf Moeller en Hagen (le gladiateur germain) ou encore David Schofield en Falco (le sénateur à la botte de Commode)... Autant d'acteurs, qui, dans mon esprit sont et resteront attaché à leur personnage.
Un mot également sur la musique de Hans Zimmer et Lisa Gerrard, exceptionnelle, culte, visionnaire, maintes fois copiées mais jamais égalées et sur le ciné-concert qui reste, à ce jour, la plus grande et la meilleur expérience ciné de ma vie. Je parle d'une salle de près de 4000 places, d'un orchestre de 100 musiciens et de 100 chœurs, d'une chanteuse époustouflante (Clara Sanabras) et d'un écran gigantesque. Je parle d'une expérience d'immersion reléguant la 3D à simple artifice de fêtes foraines. Mais aussi d'une expérience qui m'a tellement terrassé qu'elle a sans doute enterrée pour un petit moment toute séance de cinéma classique et à fortiori, tout visionnage de Gladiator.

Quant à la mise en scène de Scott, elle est, comme souvent dans ses meilleurs films, tendue et contemplative à la fois. Elle est même plus radicale que ça puisque traversée par une étrange atmosphère, que le mariage de la musique, des prises de vues, des filtres et des jeux de lumières rend très perceptible, presque fantasmagorique. Scott en cinéaste aguerri signe surtout le péplum ultime. Par forcément le meilleur, mais celui qui reprend, sous forme de clins d’œils ou de variations, quelques-un des plus beaux morceaux de bravoure de l'histoire du cinéma en jupes, toges et sandales : la course de char de Ben-Hur, la révolte de Spartacus et surtout l'intrigue de The Fall of the Roman Empire de Mann (dans lequel Richard Harris devait tenir le rôle de Commode, finalement échu à Plummer) film qui mit fin à la mode du péplum au milieu des années 60 avant que Gladiator ne relance, trente six ans plus tard, le genre et ne le porte au sommet du Septième Art. Péplum ultime et film de cinéma, poétique qui plus est, dans lequel Scott parle quand même de son métier à travers les personnages de Commodes et surtout de Proximo et prophétise que bien employé, le sens du spectacle peut renversé des pouvoirs et soulever des montagnes. Rêveur va.

"Now we are free. I will see you again. But not yet, not yet... "

ROMA VICTOR!
blig
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le 29 sept. 2014

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blig

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