Les commerçants le savent bien : la rareté suscite la convoitise. Après une exploitation réduite sur deux jours et faisant flamber les réseaux sociaux par des élus qui avaient pu voir le film et qui s’en vantaient presque autant que ceux qui ont assisté à la projection de Mektoub My love : Intermezzo, Godzilla Minus One revient pour une durée de deux semaines dans un panel plus large de salles, dans lesquelles on annonce déjà le prochain blockbuster chinois Creation of the Gods, qui nous fera oublier Marvel, et ne sera lui aussi proposé que sur deux journées.
Voilà donc le retour de la créature mythique du cinéma japonais, mâtiné d’un retour aux sources qui s’avérera salvateur. Dans un pays traumatisé par la défaite, la créature se nourrit d’essais nucléaires pour revenir après une première apparition, plus revigorée que jamais et prête à humilier une nation qui va y voir l’occasion de terminer une guerre avec les honneurs.
C’est cette dimension à l’ancienne qui fait tout le charme de cette énième incarnation, dans laquelle le Japon se réapproprie une bestiole totalement travestie par les délires essorés de toute inspiration du cinéma américain de ces dernières années. Si l’on ne fait évidemment pas l’économie de l’indispensable CGI, les traits de la créature et le jeu des échelles reproduit cet imaginaire de maquettes d’antan, réduisant la ville à un terrain de jeu et les trains ou bateau à des miniatures. Un aspect presque modeste, renforcé par une intrigue qui va volontairement mettre de côté les grandes instances de l’armée pour faire de ce conflit une affaire civile, individuelle et humaine. Si l’écriture peut s’avérer poussive (cette obligation de toujours formuler dans des dialogues les épisodes précédents), voire mièvre (deuils et traumatismes à régler), le propos central reste assez intéressant : le rejet du code asservissant de l’honneur kamikaze et d’un patriotisme sacrificiel insuffle un progressisme idéologique plutôt habile dans une intrigue située au lendemain de la seconde guerre mondiale.
La lâcheté, associée au sentiment de la défaite, viennent donc irriguer des motivations qui font la part belle aux individus, aux moyens limités (ces jolies diapositives sépia pour expliquer le plan) et limitent les scènes d’action en approfondissant chacune d’entre elle. Une relecture des Dents de la mer, un train en apesanteur, une destruction urbaine et, surtout, un plan savamment orchestré par le collectif pour tenter de se débarrasser de l’importun : linéaire, réfléchi, sans surenchère, tout en proposant des effets visuels de très bonne facture. En découle un plaisir aussi modeste qu’authentique, qui relève presque de la nostalgie pour les monstres et les héros d’antan, et questionne sur l’avenir du blockbuster, qui devrait davantage parfaire ses invariants mythologiques que courir après l’innovation et la hype d’une époque éphémère.