Mi-documentaire, mi-fiction, mais pas assez humain

Le postulat du film donnait envie. Quel film oserait soulever un fait de société aussi polémique que celui des prêtres pédophiles ? C'est rare de nos jours. D'autant plus qu'il s'agit là d'un film qui fait front à l’Église et ses défauts. Ce n'est pas un film qui s'insurge contre la religion, mais contre le système paroissiale qui protège des raclures pédophiles. Le fait donc que l’église ait tenté de retarder voir d'annuler la sortie de Grâce à Dieu est malheureusement révélateur des problèmes au sein du système. On pourrait craindre que le film crache sur toute l’Église, mais non, il prend beaucoup de recul. Que l’Église n'ait pu annuler la sortie de Grâce à Dieu prouve que le système n'est pas si corrompu et que donc, il reste encore de l'espoir pour soutenir ces personnes qui ont souffert d'abus.


C'est pour ça que je suis allé voir Grâce à Dieu en avant-première. Oui, j'étais curieux de voir l'équipe du film (même si elle est arrivée une heure en retard et est restée cinq minutes), mais c'était surtout pour les valeurs et le poids que le film apporte dans notre société. Ce film est un moyen de communication, un moyen pour les victimes de libérer leur parole, de dénoncer les vices de l’Église et d'ouvrir les yeux sur ce qui se passe en ce moment et le combat que mènent ces gens. Et c'est rare ce genre de film qui ose dénoncer à ce point un système (dans le même genre, Vice avec Christian Bale est pas mal aussi).


Allez voir Grâce à Dieu pour ça, pour supporter les victimes, pour comprendre ce qui leur est arrivé et à quel point, ils tentent de changer un système complexe.


Mais n'empêche, ça aurait été quand même bien que le film soit correct. Grâce à Dieu traite son sujet avec brio, c'est vrai. En sortant de la salle, on est parfaitement informé de la situation, on comprend la souffrance des victimes, on a le sentiment d'avoir fait le tour de la question. Sauf qu'à trop vouloir traiter son sujet, Grâce à Dieu fini par devenir plus un reportage qu'un véritable film.


Ce que je veux dire par là, ce que cinématographiquement parlant, Grâce à Dieu n'est franchement pas à la hauteur. Oui, le sujet est complexe, et Ozon arrive à prendre assez de recul pour n'offenser personne et pointer du doigt avec précision les problèmes. Mais avec ce sujet, il aurait tellement pu aller plus loin, être tellement plus puissant dans sa démarche. Je m'attendais à un film sur la rédemption, sur comment vivre avec un tel poids, un film qui va au cœur de l'humain pour en faire ressortir toute sa beauté mais aussi toute sa cruauté. Avec un tel sujet, on aurait pu avoir un chef d’œuvre d'une puissance émotionnelle incroyable. Et ce n'est pas le cas.


Mon souci avec Grâce à Dieu, c'est qu'on se fait chier. Voilà, c'est dit. Dans sa forme, ce film n'est pas bon, et c'est con. Mon gros problème avec Grâce à Dieu, c'est sa narration. On suit à travers le film, trois personnages qui ont été victimes de la perversion du Père Preynat. L'un (Poupaud) rouvre le dossier, le deuxième (Ménochet) crée une association rassemblant les victimes afin de créer un dossier, et le dernier (Arlaud) trouve dans cette association le moyen de se ressaisir, lui qui n'a jamais réussi à rebondir dans la vie.


Et le soucis que j'ai, c'est qu'on commence avec Poupaud pendant une demi-heure, et d'un coup, on en entends plus du tout parler pendant trente minutes pour Ménochet. Et au bout de trente minutes encore, on abandonne Ménochet et on s'attarde exclusivement sur Arlaud. Alors oui, ça me paraît nécessaire de s'attarder sur chaque personnage pour les décrire, qu'on les comprenne, mais le souci, c'est que non seulement, on ne les introduit pas vraiment bien, mais que surtout, leurs interactions sont quasi-inexistantes (sauf dans la dernière demi-heure). Toute la première partie du film avec Poupaud se fait avec une correspondance de lettre par voix off qui disparaîtra au bout de trente minutes avec le personnage. Le truc, c'est que jamais on ne voit Ménochet et Arlaud (ce dernier, on ne le voit vraiment qu'à la fin), et quand le film s'attarde sur eux, on ne les connaît pas du tout. Pas d'introduction, et la première chose qu'on sait d'eux, c'est qu'ils ont été victimes du Père Preynat.


J'ai du mal à définir cette gêne que j'ai avec cette narration, mais le fait de délaisser totalement un personnage pour un autre que je ne connais pas du tout, ça me dérange. J'apprends à m'attacher à Poupaud, et après, j'en entends plus du tout parler et son personnage n'aura plus aucun développement le reste du film. En ce qui me concerne, ça m'agace.


Autre souci, il y a une volonté de gêne, de malaise et je pense que c'est réellement voulu pour montrer la souffrance des personnages, mais mon problème, c'est la façon dont c'est fait. Là c'est le « moi » très hautain qui parle, mais j'aurai par exemple présenté tout les personnages au début du film, les montrer comme des hommes adultes, et entrer petit à petit en profondeur dans leur souffrance. Le film est frontal, mais tellement frontal qu'il en perd de son humanité, tellement documentaire qu'on arrive pas à s'attacher réellement aux personnages. On constate leur souffrance, mais on compatis pas, on ne la vit pas avec eux. J'ai écouté ces hommes témoigner, mais je n'ai pas compris ce qu'ils ressentaient. A chaque flash-back, on voyait le Père Preynat s'approcher des enfants, et c'est tout. Je demande pas à voir un viol, j'en ai d'ailleurs aucune envie, mais que la caméra se rapproche d'avantage de l'acte. La caméra reste toujours trop à distance.


On nous explique trop au lieu de nous montrer ! On nous explique tous les soucis auxquels sont confrontés les personnages, mais on ne les montre jamais. Et c'est peut-être ça qui a provoqué mon ennuie, c'est que c'était trop explicatif, ça parle trop et le film n'a finalement pas grand chose à montrer.


Ce que je ressens finalement avec Grâce à Dieu, c'est une pointe de déception face à ce qui est fait avec un sujet qui offrait pourtant nombreuses possibilités de narration. Je disais plus haut qu'Ozon prenait du recul sur son sujet, et c'est important, mais justement, il prend trop de recul, je le trouve trop distant pour réellement toucher son public. Alors oui, le film est informatif, mais pas assez profond.


Mais allez le voir ! Même si vous vous faites chier, allez le voir parce que malgré ses gros défauts, malgré le fait que Grâce à Dieu ressemble plus à un documentaire fictionnel qu'à une vrai plongée dans la souffrance d'hommes qui ont subi des atrocités dans leur enfance, il a une importance d'un point de vue sociale et politique. C'est un film qui porte une opinion, qui d'un point de vue moral, est d'une importance folle. Si ce film peut faire bouger les choses, si ce film peut éveiller les consciences et avoir des conséquences sur le système paroissiale, il faut aller le voir.

James-Betaman

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