Pour son dernier long-métrage, lauréat du Grand Prix du Jury à la 69e Berlinale, François Ozon colle à l’actualité en revenant sur l’affaire du père Preynat accusé de pédophilie.


C’est un peu plus d’un mois après le procès, qui s’est tenu à Lyon, de l’Archevêque Barbarin poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles et quelques semaines avant le jugement, prévu pour le 7 mars, que sort dans un contexte explosif, GRÂCE À DIEU, le dernier film de François Ozon. Le réalisateur revient sur les trois dernières années qui ont vu la création de l’association La parole libérée portée par les trois victimes et lanceurs d’alerte sur lesquels le film se focalise, Alexandre, François et Emmanuel.


La parole qui se libère, c’est sur ce motif que François Ozon décide de construire son long-métrage. Pour que son film dépasse le simple constat documentaire, le réalisateur décortique le mécanisme de cette libération à l’oeuvre. GRÂCE À DIEU est composé de trois parties distinctes chacune centrée sur l’un des trois protagonistes. La première partie est dédiée à Alexandre Guérin, interprété par Melville Poupaud. Dans cette introduction, Ozon s’intéresse à la manière dont le processus se met en place. Comment une affaire vieille de trente ans, remonte un beau jour à la surface, et creuse petit à petit un sillon dans la conscience d’Alexandre. Le réalisateur enracine son récit dans l’intime, dans l’histoire individuelle, avant de le faire rejoindre le collectif, le public.


La narration est d’abord portée par une intense relation épistolaire entre Alexandre et les représentants du diocèse de Lyon. La parole demeure alors empêchée, réduite au silence et au secret. La vérité qui ne peut encore jaillir se fait uniquement entendre à travers une voix-off presque omniprésente dans ce premier tiers. Alexandre se heurte à l’opacité du système ecclésiastique. Face à une parole qui cherche à nommer la vérité, l’Église ne renvoie que son silence mortifère.


Et puis la parole se transforme en arme, elle exhume du passé meurtri la vérité ensevelie. Les trois personnages vivent à peu de chose près le même cheminement, c’est par l’intermédiaire d’une tierce personne que les faits remontent. D’abord la sidération face la réminiscence ainsi déterrée avant de s’engager dans le combat public. La parole se répand et se passe comme un témoin, elle voyage de personnage en personnage, d’histoires intimes en drames familiaux. Les lettres des parents de François (Denis Ménochet) sont saisies par la justice et deviennent des preuves. L’affaire éclate et avec elle la parole qui se libère, enfin. Cette deuxième partie montre comment le privé devient public, comment la tragédie individuelle se meut, de manière assez remarquable, en combat collectif.


Le troisième acte ouvre le récit sur une autre dimension, celle des dégâts engendrés par l’agression sexuelle. Si Alexandre et François sont parvenus à construire une vie d’adulte relativement structurée, Emmanuel (Swann Arlaud) est quant à lui resté figé dans une incapacité à s’émanciper du traumatisme. Les stigmates, encore visibles, empoisonnent sa vie intime. Les agissements du père Preynat couvrent une large période, trente années tout au moins, avec la complicité passive de l’Église silencieuse. Le réalisateur veut nous faire prendre conscience de l’ampleur abyssale d’une telle impunité. Le nombre de victime est vertigineux, ses répercussions, effroyables.


François Ozon met en lumière un réseau de vies troublées. Il suffit d’une scène, parfois un regard ou un non-dit pour nous laisser entrevoir toute la subtilité des émotions qui relient les personnages entre eux. Et il est parfois surprenant de constater à quel point la mécanique de mise sous silence de l’Église se reproduit parfois jusqu’au sein des familles. Par peur du scandale ou bien par la force du tabou, c’est tout un équilibre social qui vacille. Pendant des années, c’est d’abord vers le diocèse que se tournent les victimes et leurs familles avant même de s’adresser à la justice. Là aussi, Ozon décortique avec lucidité un paysage social dans lequel l’institution ecclésiastique exerce un rôle fondamental qui supplante l’autorité morale de l’État.


C’est bien cette responsabilité non assumée que l’association La parole libérée, puis François Ozon, pointent du doigt. Le combat n’est pas dirigé contre un seul homme et c’est le fonctionnement d’un système tout entier qu’il s’agit de dénoncer. À travers le personnage de François une phrase résonne, “vous voulez juger un homme, moi une institution”. Dans son article publié dans Le Monde, la journaliste Pascale Robert-Diard souligne le caractère historique du procès en cours qualifié de “premier face-à-face entre des victimes d’un prêtre pédophile et l’Eglise en tant qu’« institution » symboliquement incarnée par la présence de l’un de ses plus hauts représentants sur le banc des prévenus”.


À l’instar du mouvement Me Too qui en est la plus récente manifestation, le procès s’inscrit dans un contexte mondial de libération de la parole des victimes d’agressions. C’est ainsi que la démarche de François Ozon prend des allures d’acte militant. Une résonance évidente à Spotlight, sorti trois ans plus tôt, qui retraçait l’incroyable enquête d’un groupe de journalistes sur un scandale de pédophilie institutionnalisée au sein de l’Église catholique. Dans son combat de lanceur d’alerte, Alexandre Devaux (co-fondateur de La parole libérée) réaffirme sa volonté de pousser l’Église à évoluer.


Le réalisateur leur offre une tribune de choix et rappelle une fonction essentielle du cinéma. L’incroyable capacité de l’espace cinématographique à canoniser les récits, sauvegarder les histoires pour les soustraire à l’oubli. Et même si les films ne changent toujours pas le monde, ils ont cette faculté à acter durablement les choses. Avant même l’annonce du jugement, Ozon s’empresse de valider l’historicité d’un événement à l’œuvre.


Aurélien Milhaud


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le 19 févr. 2019

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