Petit point d’actu : Grâce à Dieu fait polémique. Deux plaintes déposées à son encontre ont bien failli lui empêcher de voir le jour à la veille de sa sortie nationale. Le première émanant du Père Preynat, accusé d’abus sexuel sur de nombreux membres du groupe de scouts de Saint Luc qu’il dirigeait entre 1970 et 1991. L’avocat de ce dernier prétend que la présomption d’innocence du prêtre est bafouée par le film qui présente la vie de ses victimes et le considère comme coupable avant même le début de son procès prévu pour fin 2019. Pourtant, la justice déboute cette plainte étant donné que le film se termine sur un carton expliquant la date de procès et la présomption d’innocence de Preynat. Quant à la seconde plainte, elle est déposée par l’avocat de Régine Maire, ancien membre du diocèse de Lyon présentée dans le film comme ayant été l’une des personnes ne dénonçant pas Preynat à la justice bien qu’ayant eu connaissance de ses abus. Encore une fois, il y aurait atteinte à la présomption d’innocence de la paroissienne sachant que le jugement de son procès au côté du Cardinal Barbarin, accusé des mêmes fautes, ne sera rendu que le 7 mars. À nouveau, la justice statue dans le sens du film et Grâce à Dieu est sorti sur nos écrans le 20 février.


Déjà récompensé du Grand Prix du Jury à la Berlinale, la nouvelle réalisation de François Ozon prend aux tripes. De part le remue-ménage médiatique et la force de son sujet, un accord tacite se passe entre le film et le spectateur. Lorsque nous rentrons dans la salle, nous connaissons le poids de la thématique abordée et l’influence de l’actualité sur notre regard. Nous savons que le sujet prendra toute la place jusqu’à brouiller nos facultés critiques. Alors, nous espérons qu’Ozon fasse son travail et le fasse bien, pour ne pas avoir avoir à redire sur ce genre d’œuvre. Pourtant, même si la situation est complexe, le défi du réalisateur est relevé.


Si l’idée première était celle du documentaire, François Ozon choisit finalement la fiction pour traiter du sujet des victimes du Père Preynat. On touche toutes les classes de la société, tous les profils. Ozon peint un grand tableau de l’étendu des dégâts et choisi, comme ligne directrice du film, la lecture en voix off de correspondances comme celle d’Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), première victime à porter plainte contre Preynat, et le diocèse de Lyon. Grâce à Dieu se place du point de vue des victimes, de leurs familles, il nous invite à suivre leur reconstruction et leur combat.


Bien que chaque victime se soit construite ou reconstruite à sa manière c’est bien le combat qui prend une place centrale dans le récit et l’intelligence d’Ozon est de nous montrer l’évolution des personnages sur plusieurs années. Il y a d’abord le combat d’une vie à construire sur des traumatismes, puis le combat qui consiste à parler et à mettre des mots sur des souvenirs douloureux, et puis, finalement, le combat contre l’agresseur et le système qui le défend. Si la volonté de justice se tourne d’abord contre Preynat, les victimes se retrouvent, à leur grand étonnement, face à un autre géant à combattre : l’église silencieuse ; cette institution qui a réussi, par sa hiérarchie et sa stricte culture interne du secret, a héberger un agresseur en son sein durant de si nombreuses années en toute impunité.


La réalisation classique d’Ozon participe de l’efficacité du film dans lequel il faut souligner le rôle de la parole. À ce titre, les dialogues et les échanges prenants sont très peu pollués par la musique qui reste très discrète. N’ayons pas peur de le dire, Grâce à Dieu nous livre un Spotlight à la française. Sorti en 2016 et réalisé par Tom McCarthy, Spotlight se penchait sur l’histoire du groupe de journaliste du Boston Globe ayant mis à jour des abus sexuels au sein de l’église catholique ayant été eux aussi protégés par les institutions religieuses et politiques de Boston. Le film d’Ozon s’inscrit dans cette lignée en posant la caméra du côté des victimes, non des journalistes. Pour autant, l’allure d’enquête est bien présente. Nous découvrons pas à pas un secret bien gardé que chaque minute du film nous révèle. Il s’agit là d’un film d’enquête qui finit même sur un questionnement et ouvre des pistes de réflexion sur la force des institutions ainsi que le danger de milieux hiérarchisés opaques.


Si Grâce à Dieu n’en fini pas de nous interroger, c’est parce qu’il n’a pas peur d’appuyer où ça fait mal. Le tournage du film est même resté discret voire secret. En exemple, les scènes d’extérieures à Lyon ont été tournées avec le faux titre d’ « Alexandre », prénom d’une des victimes, afin de ne pas éveiller les soupçons. Si la lumière est faite sur un sujet grave, elle penche du côté des victimes tandis que le spectateur, lui, penche du côté d’Ozon.

Cinématogrill
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le 25 févr. 2019

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