Article original sur LeMagduciné


Grâce à dieu de François Ozon, est une oeuvre passionnante, riche, qui ne cesse de chercher la lumière dans la pénombre du mal. En pleine période MeToo et des agissements de la Ligue du Lol, le film d’Ozon sonne comme un magnifique plaidoyer à la prise de parole des victimes face au silence et à leur unité derrière l’omerta d’une société parfois aveuglée par ses moeurs et sa peur de sortir des rangs.


Grâce à dieu est un film sur la libéralisation de la parole, sur le courage de dire stop à l’injustice, celle qui est enfouie derrière les sourires ou les regards qui cachent de lourds secrets. On peut travailler dans les banques, être entrepreneur ou connaitre la galère d’emploi, le même mal peut ronger les sens. Dans cette optique de mettre en valeur ce droit à la parole, François Ozon utilise avec justesse une voix off qui nous narre les pensées des protagonistes ou leurs échanges épistolaires. Derrière ces corps qui vivent leur quotidien dans le non dit, cette mise en scène confronte cette conscience qui s’active, qui ne cesse de cogiter avec le silence des déplacements ou les séismes dans le foyer familial: le film nous montrera que les face à face sont une épreuve difficile à gérer, un instant vif et abrasif où la « vérité » s’exprime pour la première fois.


Ces multiples correspondances épistolaires entre l’institution ecclésiastique et les protagonistes ont cette qualité de révéler deux choses : l’omerta de l’Eglise et cette distance morale et de confiance qui s’érige entre les référants catholiques et les croyants. C’est impressionnant, après le tempétueux et miraculeux First Reformed de Paul Schrader, de voir la religion et leurs représentants être remis en cause pour leur déconnexion totale face aux enjeux sociaux et sociétaux du monde dans lequel ils semblent vivre. Il y a dans les deux films ce même vide moral, cette incompréhension pastorale, cette idée de privilège qui éloigne de la réalité des faits. Mais derrière la religion, Grâce à dieu est avant tout un film qui donne la parole aux victimes, qui dévoile les failles de chacun avec finesse et qui malgré la dureté de certaines dépositions ou de certains témoignages, présente une pudeur de chaque instant pour la regrouper en une collectivité solidaire et pugnace.


Pourtant, cette pudeur est la meilleure arme pour faire comprendre cette colère latente qui s’étend sur toute la durée de l’oeuvre et qui anime chacun des personnages. Cette colère, cette haine est matérialisée de façon disparate : Alexandre qui se veut avant tout être le protecteur de sa famille, François qui souhaite que chacun regarde dans les yeux ses responsabilités ou la colère d’Emmanuel joué par un sensationnel Swann Arlaud sous ses faux airs de River Phoenix, écorché vif et au bord d’une falaise existentielle. Pendant que l’on suit, dans la première partie du film le parcours initial d’Alexandre, Grâce à dieu fait communiquer les témoignages et les destins, notamment ceux d’Emmanuel ou de François. Loin de l’aspect purement documentariste d’un Spotlight, François Ozon construit un long métrage qui trouve le parfait équilibre entre reconstitution de fait et l’écoute de sensibilité qui s’évapore dans les méandres d’une lumière recherchée. La parole, celle qui doit s’élever n’est jamais utilisée par pure volonté de vengeance. Ce n’est pas jamais une question de vengeance mais de justice : celle que la victime, la société et l’Eglise doivent entendre et soutenir. La force de Grâce à dieu, au delà de son émotion inévitable, toujours bienvenue et jamais forcée, est sa richesse thématique.


Comme Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, François Ozon se sert du cinéma français pour le confronter à des sujets modernes, qui pourrissent notre société depuis trop longtemps : après la violence faite aux femmes, c’est la pédophilie dans l’Eglise. Avec cette même puissance évocatrice du mal et cette représentation de la difficulté de la prise de parole, qui provient de la honte de la victime ou de sa culpabilité qu’elle se crée elle même, tout comme le montre ce repas de famille qui part en pugilat où le frère de l’une des victimes, François, l’invective car cette histoire de « curées » empiète sur la vie de toute la famille. Souvent le cinéma a mis en lumière la reconstruction par le temps: mais cette fois ci le temps n’efface rien. La parole elle même n’efface rien mais elle permet de donner corps à une souffrance, de dédiaboliser cette culpabilité qui s’innerve de manière inconsciente. Parfois programmatique dans sa manière d’alimenter cette reconstitution,


Grâce à dieu a le mérite de faire parler ses personnages plutôt que son histoire en elle même. Comme dans Mysterious Skin, sans l’aspect charnel, bariolé et pessimiste, Ozon à l’instar de Gregg Araki, cherche la reconstruction plutôt que la reconstitution: le pardon est difficile à trouver mais la parole devient le réceptacle d’une acceptation de soi, pour que les victimes ne soient plus prisonnières.

Velvetman
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le 25 févr. 2019

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