Grand Theft Hamlet
6.8
Grand Theft Hamlet

Documentaire d'animation de Sam Crane et Pinny Grylls (2024)

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Grand Theft Hamlet est inclassable : une pièce de théâtre, un making-of de cette pièce, un documentaire, un making-of de ce documentaire, un mockumentaire, un let's play, un film, un making-of de ce film...

Mark Oosterveen et Sam Crane sont deux comédiens britanniques qui, sans emploi lors des différentes phases de confinement qui accompagnent la pandémie de coronavirus, et zonant sur les serveurs chaotiques de GTA Online, ont une idée saugrenue : a-t-on déjà eu le droit à une représentation d’une pièce de théâtre, Hamlet en l’occurrence, dans ce monde virtuel? Est-ce seulement réalisable? De ce point de départ qui tient au départ plus de la blague, va se concrétiser un projet fou, filmé entièrement dans le jeu, qui va brouiller les frontières métatextuelles entre réalité et fiction.


Le duo est rapidement rejoint en jeu par la femme, documentariste de métier, de l’un des deux compères, qui va documenter le processus. Si les premières minutes voient les balbutiements de l’entreprise se heurter à la population violente de Los Santos, ponctuant chaque séquence de repérage par des fusillades aléatoires par des gens qui le sont tout autant, cet inéluctable état de fait finira par faire partie intégrante de la genèse du projet. Une incroyable bizarrerie se dégage en creux de ce décalage entre le sérieux des acteurs et le déjanté du dispositif.


Débute alors la phase de casting, qui nous fait rencontrer une ribambelle de personnages, puis de personnes. Si les premiers échanges sont toujours emprunts d’une superficialité créée par la distance de l’écran, de véritables histoires vont finir par poindre. A ce titre, on retiendra par exemple une des actrices de la pièce, incarné par un joueur roleplay régulier qui incarne une femme travaillant dans une supérette et rêvant de devenir une star. Un homme, qui incarne une femme qui en incarnera une autre. Méta donc. Mais cela va encore plus loin lorsque l’on découvre par la suite que cette personne est en réalité une transexuelle qui s’est faite rejetée par sa famille à la suite de son coming out, et accepte de se livrer à ses partenaires artistiques.


Elle n’est qu’un exemple dans cette galerie de joueurs qui utilisent initialement GTA comme un échappatoire primaire (à coup de dézingage d’autrui), mais finissent par se confier plus intimement à mesure que de véritables liens sociaux se tissent, aidés par une commune traversée d’une crise globale. Dans tous les malheurs que le Covid a pu engendrés, ici aura éclos une nouvelle forme de création en collectivité (tangentiel au projet complètement solo de Bo Burnham : Inside). Mark fait également état de son besoin de s'investir dans ce projet, s’imposant une pression sur un travail “fictif” afin de pouvoir en faire un exutoire. Chez lui, il est seul. Il n’a plus de famille, pas d’emploi, et trouve à travers ce projet insensé un sens et un moyen de se connecter aux autres. Et si certaines scènes d'exposition sont sorties du dispositif documentaire, écrites et réalisées pour créer un fil narratif, elle ne font que volontairement brouiller la perception du spectateur entre script et imprévus, renforçant la confusion des frontières entre le réel et le virtuel.


Le “To be, or not to be” prend alors un nouveau sens dans cette hybridation qui abolit l’imperméabilité entre les mondes. Les obstacles dues aux torsions des règles établies en jeu semblaient initialement insurmontables, mais deviennent in fine les outils qui créent la singularité du projet. Les passants parasites, les micros crachotant, les bugs burlesques, tout ceci va parachever cette histoire aussi hilarante d’absurdité, que touchante par sa profonde humanité.


Grand Theft Hamlet ouvre des portes sur les possibilités futures d’un médium, le cinéma, qui n’a pas fini de se réinventer pour peu que l’on prenne la peine d’être curieux.



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