La voyeuse
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A Hollywood, old school good time, les cinéastes de studio (John Ford, Richard Thorpe, Leo McCarey…) réalisaient des films à une cadence industrielle. Aujourd’hui, la quantité de production à centuplé tandis que chaque cinéaste réalise moins. Il faut œuvrer dans une économie ultra-modeste, radicalement fragile pour retrouver un peu de cette prolixité olympienne. C’est ce que fait Hong Sang-soo, ayant sorti déjà 2 films en 2018. GRASS est le 3ème.
Au rythme stakhanoviste où va Hong, pour un spectateur fidèle, les œuvres ont tendance à se confondre les unes dans les autres. Confusion d’autant plus provoquées qu’elles sont courtes, au point de pouvoir s’enchâsser mutuellement comme les volets d’une série. Imbroglio entrainé aussi par les variations poursuivies au fil des films. A l’image de ce que pratiquaient ses références explicites Cézanne, Monet, Rohmer ou Ozu. Œuvrant à l’idée commune qu’il n’y a pas de grands artistes qui ne remettent à chaque création les même motifs sur l’établis.
En découvrant GRASS, émergent des échos de ses films précédents : le thème du suicide, en filigrane dans Conte de cinéma (2005), le café comme lieu central, l’alcool comme catalyseur des émotions cachées, les amitiés perdues et retrouvées, tous ces sujets courent le long de son cinéma.
La présence d’acteurs fidèles, comme Kim Min-hee (rejouant son personnage du Jour d’après), Kwon Hae-hyo, Gi Ju-bong, Seo Yong-hwa parachèvent la dimension du film comme monade du cosmos HSS. Ce n’est presque pas une boutade : il existe un Hong-Cinematic-Universe ! Forgé de modulations subtiles, d’inflexions chromatiques délicates. Chaque film se voie à la lumière des autres, comme un polyptyque dont les tons d’un pan illumineraient d’une saveur nouvelle ceux qui le jouxtent. Pour être discerné, cela nécessite une constance chez ses spectateurs. D’autant plus exigeante à l’heure où les personnes papillonnent de divertissements en distractions.
Voir les films de Hong, les 3 de 2018 par exemple, c’est rendre visite à une famille d’ami.e.s. Avec plus ou moins de bonheur. Pour GRASS, l’auteur reprend, décontrasté, le noir et blanc du Jour d’après, dont il est une suite semi-secrète. Il se concentre dans un café camouflé et ses environs où se retrouvent des personnes, concernées de près ou de loin par un suicide. Tout cela sous l’oreille attentive d’Areum, prenant note sur son MacBook.
Le gain de nouveauté formelle ici, c’est la présence ironique ou lyrique de la musique classique (Schubert, Wagner, Offenbach, Pachelbel), en contrepoint des chagrins. Teintant ce film d’une densité épique. L’épopée – pour les détracteurs – n’étant pas loin du grotesque, comme le rappelait ce bon vieux Brecht. A la différence délicate, ici, que le grotesque est évité par le souci clair de ne jamais viser l’emphase.
Par-delà cette coquetterie formelle, esquissée dans quelques films précédents mais confortée ici, la belle ritournelle que compose Hong est celle d’une témoin. Dactylographe des morts et des vivants, Areum enregistre le monde qui l’entoure. Ombre lumineuse du cinéaste à l’écran, reflet inversé de l’auteur chroniquant “la mort au travail”, cette figure féminine, muse et alter ego, projette le film dans une orbite de grâce.
Les différents modes d’enregistrements présents à l’écran, qu’ils soient écrit ou photographique, captent la fugacité des choses, impermanentes par nature. Dans ce requiem en mode mineur, fort d’un art de la fuite et de musiques classiques invoquées en hallalis feutrées, par-delà les amants, les amis, les frères ou les simples passants de café, c’est les Herbes flottantes (1959) d’Ozu qui s’invitent dans l’imaginaire du film. Même dans le titre, analogue.
Le cinéma qui nous sublime, les êtres qu’on aime et qui fuie, le jour qui s’endort, c’est de tout cela aussi qu’est faite la mélodie modeste de GRASS. Jusque dans ses derniers instants, dépeuplés.
Flavien Poncet
Créée
le 17 déc. 2018
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