"Le tournage dans l'espace a-t-il été compliqué ?"
Telle est la question posée par un journaliste mexicain à Alfonso Cuarón lors d'une conférence de presse à propos de son dernier film Gravity. Question légitime tant Cuarón a atteint un niveau de maîtrise incroyable pour ce qui est de la mise en scène. Gravity est son premier film depuis 7 ans et un Children of Men déjà excellent, autant dire que j'attendais son retour avec l'impatience d'un enfant de 5 ans qui attend sa glace.
Le film contient ses défauts, certes et j'y reviendrai, mais il faut également se rendre compte que pendant 1h15 (sur 1h30 de durée totale) Cuarón touche à la perfection. Il pousse l'art cinématographique à un niveau supérieur, et ça ne s'arrête pas aux prouesses techniques.
Néanmoins, il ne faut pas se leurrer, côté scénar, il n'y a pas grand chose, ce qui rend la performance de Cuarón d'autant plus impressionnante. Gravity tire donc sa force essentiellement dans l'exploitation technique. A ce titre les 20-25 première minutes sont tout simplement exceptionnelles. Cuarón réussit la prouesse d'allier plan séquence de 15 minutes (oui monsieur !) à des images spatiales d'une beauté infinie. Sa caméra est flottante et nous propulse totalement dans l'espace aux côtés de Bullock et Clooney. On est littéralement avec eux, on les suit de près, on ne les lâche pas. Et lorsque la caméra pose son regard (et donc le notre) sur la Terre, qui semble si calme, si tranquille, le spectacle atteint un niveau de magnificence absolue. On est absorbé par ces images tant et si bien qu'on ne veut pas les voir disparaître.
Et c'est là qu'intervient la catastrophe.
Les débris qui tournent constamment autour de la Terre, viennent heurter nos héros et leur station. Et une fois encore, Cuarón fait preuve d'une maîtrise hors du commun, presque insolente de sang froid. Parce qu'il faut se rendre compte du bordel que c'est à l'image. Ça vole dans tous les sens, on ne voit que des objets flottants à perte de vues, mais pourtant, il y a toujours cette grâce dans le mouvement, cette simplicité d'exécution et ce besoin de ne pas lâcher les héros. Oui, que ce soit pour la mise en scène ou la photographie (sublime), Gravity est clairement d'un niveau supérieur.
Et le ressenti sur le spectateur est puissant. Je ne me cache pas j'ai serré les dents plus d'une fois tant l'image était forte, tant on se retrouve à craindre pour ces personnages et surtout tant on se retrouve étouffé en se mettant à leur côté. Ce qui permet de créer cette affinité pour eux sans que le réalisateur n'ait vraiment à développer ça dans les grandes lignes. En particulier le personnage de Bullock, qui n'a vraiment rien demandé à personne et qui se retrouve là à se battre pour sa vie, dans un univers qu'elle ne connaît pas et qu'elle (comme personne d'autre) ne peut maîtriser. Quand on est dans l'espace, on ne fait que subir, il n'y a pas d'autres alternatives. Et pour le coup ces conditions réalistes dans lesquelles nous plonge Cuarón ne font que renforcer ce sentiment de solitude et de stress, ne nous laissant aucun répit.
Après je veux quand même souligner un défaut, qui m'a bien emmerder sur le coup, c'est cette fin. Sans entrer dans les détails pour éviter tout spoil quelconque, comme je l'ai dis plus haut, jusqu'à 1h15 de film c'est grandiose. Mais après je suis sceptique. Je me demande s'il n'aurait pas mieux valu changer la fin et arrêter le film un peu plus tôt. Je ne m'étend pas plus mais je continue de me questionner à ce propos.
*****EDIT*****
Le deuxième visionnage est toujours aussi intense, la 3D servant le film, pas aussi bien que j'aurais pu l'espérer, mais son utilisation reste vraiment intéressante.
Après je souhaiterais revenir sur deux points que je n'ai pas, ou peu, développé.
Tout d'abord la fin. Je n'arrive pas à m'y faire, Cuarón aurait dû couper plus tôt, l'effet aurait été dévastateur et le propos du film bien plus en accord avec ce qu'il est réellement.
Car il a une idée bien précise en tête au départ du film, une idée toute simple qui se met en place doucement à grands renforts de symboliques, certes aussi discrètes qu'un concert philharmonique, mais tout se met en place doucement. Or ce que l'on ressent au début du film, ce que l'on voit, n'est pas du tout en accord avec cette idée, ce qui fait que nous sommes de suite déphasés avec le propos du réalisateur, et que lorsqu'il s'offre à nos yeux, on peut trouver ça moyen et dispensable.
Malgré tout, je n'arrive pas à lui en vouloir. Certes, cette idée psychanalytique part d'un bon sentiment (ou d'un manque d'inspiration ?), mais on sent surtout que c'est fait pour combler les trous. Car ce que Cuarón réussit à faire à côté est grandiose. Et pour ça je ne changerai pas (tout de suite) ma note.
*****FIN EDIT*****
Bien sur je pourrais épiloguer sur le fait que Bullock livre la meilleure prestation de sa carrière, que Clooney en astronaute chevronné à moitié beauf, c'est également excellent.
Mais ce que je trouve encore plus fantastique, c'est la façon dont Cuarón a réussi à créer un huis clos dans un espace infini. Généralement lorsqu'on prend comme décision artistique de réaliser un huis clos, on le fait dans un endroit confiné. Or, Cuarón place le sien dans l'espace, qui a donné sa définition au mot infini. Il réussi à ne jamais, ou presque jamais, laissé ses personnage seul, utilisant la Terre ou la station spatiale pour bloquer la profondeur. Et lorsqu'on se retrouve avec un plan où l'étendue d'étoiles domine l'image avec la seule Bullock en plein milieu de l'image, on se rend compte qu'il est tout aussi étouffant que peut l'être une pièce fermée de 5m², ce qui finit de nous oppresser au plus haut point.
On est encore (très) loin du niveau d'un 2001, contrairement à ce que certaines critiques, qui n'ont de toute évidence pas vu le film de Kubrick, ont pu affirmer, mais Gravity reste un excellent film. Pas non plus le chef d'oeuvre annoncé mais il fera date. Il y aura très probablement un avant et un après Gravity, il restera comme la première immersion réaliste dans l'espace, ayant mis le spectateur face à une de ses plus grandes peurs, celle du vide intersidéral. Et je dois dire que je suis vraiment heureux d'avoir eu la chance de pouvoir vivre une expérience aussi unique au cinéma.
Alors que le conflit qui s'est mis en place entre les pros et contre Gravity sur SC fait rage, je ne prend pas parti pour l'idée de film vide. Le cinéma, ce n'est pas que de la réflexion, ou de la philosophie, le cinéma est un art visuel qui a été créé dans le but de nous faire vivre des émotions fortes, et à ce titre Gravity remplit son rôle à la perfection et se place aisément au niveau des grands divertissements de l'histoire du 7e art que peuvent être Jurassic Park ou les Dents de la Mer.
Gravity n'est pas un film duquel on sort indemne. Lorsque le générique s'est affiché, j'étais encore scotché à mon siège, la musique retentissait, aussi puissante que la claque que je venais de prendre en pleine poire.
Mais en tendant l'oreille je décelais autre chose. Un autre bruit, qui n'était autre que celui de mon cœur. Et il battait fort. Très fort.