Roger Greenberg est un loser. Après être sorti d'une dépression nerveuse qui l'a tout de même conduit jusqu'à l'asile, après avoir longtemps vécu à New York, il revient pour quelques semaines habiter Los Angeles, dans le grand pavillon de son frère Philip (qui lui est évidemment un stéréotype de réussite sociale, avec femme, enfants, argent, chien, maison et voyages dans des pays exotiques). La ville est visiblement gorgée de vieux souvenirs, et pas toujours de très bons, entre les membres de son défunt (par sa faute) groupe de rock et la femme qu'il aimait : Greenberg était censé ne rien faire, littéralement, pendant les six semaines de son séjour, mais les choses ne vont pas se passer comme il l'avait prévu.
Vont s'ensuivre notamment quelques retrouvailles, un anniversaire, une soirée d'adolescents vite à moitié défoncés (un grand moment), mais surtout, une relation ambigüe avec l'employée du frère de Roger, Florence, blonde de 25 ans (quand lui a la quarantaine) un peu paumée, enthousiaste et rêveuse (alors qu'il passe au contraire pour un immense blasé).
Le film n'invente volontairement rien, mais il touche sa cible : tout, ou presque, paraît vrai, tant Noah Baumbach en a réussi l'écriture. Les scènes s'enchaînent à leur rythme, sans précipitation, sans forcer le trait; mais surtout, les personnages principaux sont très réussis. Ben Stiller (Greenberg donc) surprend (après tout c'est le type derrière Tonnerre sous les Tropiques, et il est plus connu pour jouer les gardiens de musée que pour ses rôles dramatiques), car il excelle dans son rôle de type qui a tout raté et qui se fout apparemment de tout (des lycéens se shootent dans la maison de son frère? Pas de problème, il vient discuter et s'enfile un rail de coke avec eux) mais est maniaque au point d'écrire des lettres de réclamation sur à peu près n'importe quoi (la pollution sonore, un siège qui ne fonctionne pas dans son avion de ligne – c'est un gros ressort comique du film) dans l'espoir d'être publié dans le New York Times. Il est constamment à côté de la plaque, pourtant le spectateur s'y attache; et c'est le cas aussi pour Florence (Greta Gerwig) dans un autre registre.
Les acteurs ne sont pas spécialement beaux – ils sont normaux, tout simplement, avec une peau normale et pas la beauté un peu surnaturelle des mannequins ou des actrices attirant les couvertures de magazines – et pourtant ils dégagent quelque chose, un charme assez subtil qui va au-delà du physique pur : ils rassurent, font humains sans tomber dans la caricature de Monsieur/Madame tout-le-monde, sans que l'on force le spectateur à s'identifier à eux. C'est ce qui fait la force de l'ensemble, ce qui en donne la cohésion : ça, et le montage réussi – quelques plans un peu audacieux mais discrets, de très belles scènes de nuit (en particulier celles faisant intervenir Florence quand elle doute en silence).
Pour ne rien gâcher, la bande originale, elle, est superbe du début à la fin – Californie oblige, on déterre du rock classique des années soixante, soixante-dix, quatre-vingt, mais pas seulement, et uniquement de morceaux un peu oubliés aujourd'hui (ce qui colle très bien avec le caractère de Greenberg, sa nostalgie latente – il faut le voir essayer de passer du Duran Duran à des types qui ont 20 ans de moins que lui, et qui réclament « du Korn » et « AC/DC » – détail ironique mais tellement crédible, car finalement, « les jeunes » aiment une musique composée quand LUI était effectivement jeune, tout en trouvant d'autres musiciens de la même époque qu'AC/DC complètement ringards). James Murphy (sorti tout droit des LCD Soundsystem) signe les morceaux exclusifs au film et il s'en tire fort bien, parvient à donner une texture, une atmosphère particulière à la chose.
La musique établit en fait un fil rouge dans Greenberg : elle établit un lien fort entre Roger et Florence, par exemple, puisque lui était rockeur à ses heures et qu'elle veut devenir chanteuse; et elle perpétue le statut un peu mythique de Los Angeles, tant elle semble inexplicablement coller à l'idée que l'on peut avoir de cette ville (associée aux mots soleil, voiture, palmiers, etc).
Un film qui ne paie pas de mine, mais qui se révèle plus que bon.
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