D'abord et avant tout, il y a un corps. Celui de l'acteur Souleymane Débé. Cet homme est handicapé pour de vrai, il a une jambe morte, uniquement des os et de la peau, sans muscles, sans nerfs. Elle est totalement amorphe et lui donne l'impression d'un être démantibulé, qui se déplace en claudiquant, presque comme un fantôme, un diable, une boule d'énergie incontrôlable. Le cinéaste utilise ce handicap à bon escient. Il fait de Grigris, son personnage, un danseur qui se contorsionne de manière incroyable. Débé est un vrai corps de cinéma, comme je n'en ai pas vu depuis l'enquêteur de l'Humanité et le travelo de l'Année des 13 Lunes. Une présence qui restera à jamais, et qui est à elle seule un moment fort de cinéma. Et le film est aussi bon que l'est l'acteur. Certes conventionnel dans son récit pour un spectateur occidental habitué aux récits européens et / ou américains, mais n'oublions pas que c'est un film tchadien nom de dieu, et que les prises de risques, les gestes de cinéma présents ici sont tout bonnement exceptionnels. Grigris c'est donc l'histoire d'un danseur handicapé amoureux d'une belle prostituée rêvant de devenir mannequin, qui va intégrer un gang qui verse dans le trafic d'essence afin de gagner suffisamment d'argent pour soigner la maladie grave de son beau-père.
Le film est un vrai, grand et beau geste de cinéma. Une oeuvre forte et sincère, réalisée par un type qui possède une acuité folle et qui m'a vraiment marqué. Sans conteste l'un des grands moments de l'année en cours !