Le désir au-delà des limites
Mais que c'est dur d'être un film asiatique et de devoir être distribué dans une quarantaine de salles au maximum en France... Alors dès qu'un film d'un réalisateur bridé réputé nous parvient, l'occasion est trop belle, il faut se précipiter dessus! Guilty of Romance est le premier film de l'enfant terrible du cinéma nippon, alias Sono Sion, à sortir dans l'hexagone (en dehors de certaines rétrospectives). Le cinéaste controversé, auteur notamment de Suicide Club ou du magnifique Love Exposure, reste plutôt méconnu du fait de son manque de visibilité mais fort heureusement certaines de ses oeuvres nous sont parvenues et j'espère que c'est une tendance qui se poursuivra à l'avenir, le cinéma actuel a besoin de réalisateurs comme ça. Sono est à l'origine d'une oeuvre atypique qui forcément ne fera jamais l'unanimité. Il m'avait conquis avec son Love Exposure qui reste un des films m'ayant le plus remué dans ma vie, une belle claque comme on s'en prend trop rarement et j'attendais son nouveau film au tournant. Fidèle à lui-même, le cinéaste japonais nous offre une expérience unique tout aussi folle que troublante.
Si je devais résumer Guilty of Romance en quelques mots je dirais que c'est un tourbillon poético-charnel, un objet de fantasme et encore une fois Sono Sion n'hésite pas à aller loin. C'est un film qui semble prendre une dimension quasi-psychanalytique en traitant la thématique du désir sexuel, désir ici refoulé par l'épouse d'un écrivain qui ne la touche pas et lui fait vivre le rôle de la parfaite femme au foyer. Izumi, l'héroïne du film, est une femme docile (pour ne pas dire complètement soumise) qui peu à peu va s'échapper de cette coquille forcée pour réveiller un instinct presque animal. Sono, à travers Guilty of Romance, nous exécute la peinture de ce masque social qui tombe et des pulsions endormies qui brutalement émergent, progressivement on entre dans un cauchemar éveillé où navigue Izumi, cette femme tiraillée entre ses "obligations" sociales et ses désirs.
GoR est une oeuvre baroque qui ne semble souffrir d'aucunes limites, qui semble être le fruit d'une imagination débordante qui aurait carte blanche. D'ailleurs quand on s'intéresse davantage à Sono Sion en tant qu'homme, on se rend vite compte que son parcours loin d'être évident a énormément influencé son oeuvre (Sono Sion a notamment été enrôlé par diverses sectes lorsqu'il était sans domicile fixe).
Guilty of Romance est un film malsain mais aussi terriblement envoûtant. Je n'ai pas été embarqué comme j'ai pu l'être par Love Exposure mais ce film m'a conquis. Sono ose tellement de choses, et en toute honnêteté ça fait plaisir de voir ça dans le paysage cinématographique actuel qui se contente trop souvent de blockbusters sans âme et de films consensuels au possible.
Visuellement déjà ce film est une grande réussite, Sono semble avoir mûri dans sa mise en scène, peut-être grâce à de meilleures moyens mais en tout cas on a le droit à une forme très propre et des séquences admirablement menées. On y retrouve cette poésie morbide typique du cinéaste japonais. C'est beau, inventif, teinté de mort, de vie, d'amour, de surréalisme. C'est juste fou. Des scènes marquent par leur ingéniosité visuelle, citons celle sous la douche et la plupart de celles se déroulant à l'intérieur du "château" qui fait référence à l'oeuvre de Kafka (malheureusement comme je suis davantage un visionneur qu'un lecteur, je ne pourrais pas faire le rapprochement entre les deux oeuvres).
GoR s'est aussi directement inspiré de l'Empire des Sens de Nagisa Oshima, pilier du cinéma érotique japonais, dans le simple fait de montrer des corps qui librement se désirent et s'expriment, des corps dictés par leurs sens où toutes les limites sociales et morales propres à l'homme sont totalement gommés quand éclate ce désir primaire, celui de la recherche du plaisir charnel.
Réussite esthétique, Guilty of Romance reste aussi une oeuvre profondément dense. Outre le désir sexuel, il y a des questionnements sur la nature humaine, l'amour, les rapports de domination-soumission, les déviances, les moeurs... Il y a la volonté de peindre une société japonaise en décadence morale. Il y a matière à s'interroger dans ce cyclone voluptueux représenté à l'écran. La femme est ici mise en avant en tant qu'être sexuel à part entière, en tant qu'être libéré. La question de la prostitution est posée par la prof d'université, le "mentor" en quelque sorte de la frêle Izumi. L'argent vient faire l'intermédiaire entre l'amour et le sexe, sans amour le sexe doit être payant. L'acte ne peut être considéré comme purement gratuit, l'argent sert ainsi de protection et plus que jamais de monnaie d'échange.
Sono ne se prive pas non plus de nous livrer un pur défilé érotique qui sert pleinement son propos, qui n'est jamais gratuit. Puis ça fait tellement de bien de voir du nichon, du beau, du ferme. On en voit pas assez au cinéma de nos jours, on nous les laisse deviner dans les mauvais films consensuels sans jamais les montrer mais là impossible de les rater. C'est tellement beau de voir de sublimes corps dénudés! Guilty of Romance est un film qui vogue entre poésie, érotisme, surréalisme et fantasme.
Une nouvelle fois d'un point de vue artistique, on peut louer le fait que Sono Sion évite le didactisme basique. Son film est divisé en chapitres mais cela ne le rend en rien linéaire. Il y a une véritable intelligence narrative dans ce film à laquelle on pourrait cependant reprocher une certaine répétition qui fait retomber le soufflet à plusieurs reprises, ce qui m'empêche de crier au chef d'oeuvre car il subsiste encore quelques maladresses, le principal défaut du film étant son rythme inégal.
Mais ces maladresses ne sont rien face à l'étendue du génie artistique dont fait preuve Sono Sion encore une fois et il me tarde vraiment de découvrir sa filmographie en profondeur. Troublant et fascinant, Guilty of Romance respire le cinéma, respire les idées et s'en sort avec les félicitations au tableau d'honneur.