C'est un bien étrange et curieux film français que ce Haine de Dominique Goult sorti sur les écrans en 1980. Seul et unique film traditionnel de son réalisateur qui œuvra quelque temps dans le cinéma pornographique, Haine écopera d'une interdiction aux moins de 18 ans lors de sa sortie en salles et disparaitra ensuite doucement mais surement de la circulation jusqu'à longtemps devenir presque invisible et devenir un peu culte comme tout ce qui est rare. C'est l'excellent éditeur Le Chat qui Fume qui a ressorti Haine en Blu-ray récemment, l'occasion de vérifier une nouvelle fois à quel point c'est parfois la rareté plus que la vraie valeur d'un film qui finit par créer son aura magnifique.
Haine raconte l'histoire d'un petit village de campagne dans lequel un drame se produit lorsqu'une petite fille est retrouvée morte sur la route écrasée par un motard en combinaison noire. Lorsque plus tard débarque un mystérieux motard vêtu d'une combinaison blanche il va immédiatement cristalliser la haine et la rancœur de quasiment tout le village.
Haine possède de faux airs de western avec cette figure du cavalier solitaire sans nom qui débarque dans un petit village marqué par un drame intime et dans lequel les bars deviennent des saloons et les rustres paysans des sheriff et justiciers. Le film de Dominique Goult dépeint avec force mais sans excès ni caricature une France rurale, provinciale et paysanne qui vit dans une certaine tradition de petites communautés solidaires, bruts et passéiste. Dans ce plutôt charmant petit village ce motard solitaire va vite symboliser l'étranger, l'homme de passage et le délinquant puisque dans l'imaginaire collectif de cette époque motards et bandes de voyous sont souvent intimement liés. Mais Haine s'appuie aussi beaucoup sur des notions religieuses comme celle du martyr transformant ce motard blond tout en blanc en figure christique et introduisant également un personnage de mère solitaire prénommée Madeleine qui est vu comme une vulgaire putain par les habitants du village du simple fait qu'elle n'est pas dans un schéma familiale traditionnel. L'ambiance et les thématiques du film sont loin d'être inintéressantes et même parfois singulières et puissantes mais malheureusement Haine souffre aussi d'une narration étrangement chaotique et d'une mise en scène pas toujours à la hauteur de ses enjeux.
Haine est un film à la fois très rectiligne dans son histoire de vindicte populaire et un peu tordu dans sa narration parfois un peu elliptique. Si le film de Dominique Goult parvient à poser son ambiance et ses enjeux il manque parfois un peu de consistance et de liant entre les séquences pour faire exister ses personnages et montrer comment se met en marche la mécanique et l'engrenage de la violence, c'est d'autant plus dommage que le film auquel il semble manquer quelques scènes se perd parfois dans des séquences inutiles sans aucun intérêt pour l'histoire comme cette longue scène de sabotage d'une installation électrique qui débute le film. Haine ronronne aussi un peu en faisant du sur place dans le ventre mou du film lorsque la motard tente plusieurs fois de fuir le village et se retrouve systématiquement contraint d'y revenir. Quant à la mise en scène de Dominique Goult elle alterne entre maladresses et quelques fulgurance comme lorsque le motard est poursuivi par un imposant camion symbole de la virilité rurale triomphante du chef de meute des villageois. Même si le film montre de manière frontale la violence et la haine de ces villageois on reste circonspect et dubitatif devant cette interdiction aux moins de 18 ans qui semble pour le moins excessive voir totalement aberrante aujourd'hui.
On retrouve dans Haine un solide casting avec pour commencer Klaus Kinski étonnamment sobre mais dont la présence et le charisme servent à merveille cette figure ambigüe de héros solitaire, de voyou, de saint et de martyr. C'est Maria Schneider qui incarne tout en douceur et compassion Madeleine, le seul personnage de tout le film qui porte un nom et l'on retrouve aussi la tourte jeune Evelyne Bouix et Katia Tchenko. Quant au méchant du film il est incarné par Patrice Melennec, un excellent second rôle du cinéma français qui passe régulièrement sur nos écrans de cinéma et de télévision depuis 50 ans.
Haine reste donc une curiosité et un film unique à plus d'un titre. Maladroit et parfois bancal comme un débutant sur une grosse cylindrée le film de Domique Goult est loin d'être un très grand film mais son audace thématique, sa rareté et sa singularité suffisent à en faire un film tout à fait fréquentable.