The Kenneth Show.
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Quand Branagh était encore cinéaste, c’est par Shakespeare qu’il est arrivé au septième art. Le succès d’un certain nombre d’adaptations (Henry V pour son premier long, puis Beaucoup de bruit pour rien) lui permet de financer un rêve de longue date, l’adaptation à l’écran d’une des pièces maitresses du dramaturge, Hamlet, qui est aussi l’une des plus longues qu’il ait écrite.
Parmi la cinquantaine de versions cinématographiques existantes, celle de Branagh se distingue d’emblée, dans la mesure où elle met en scène l’intégralité du texte, sans ellipses ni coupures, pour un film de 4 heures qui donne la pleine ampleur à cette pièce monstrueuse, que ce soit dans la tragique destinée qu’elle offre aux personnages ou par le nombre considérable de monologues et de récits secondaires qui la constellent.
On ressort proprement lessivé de ce pavé, qui permet aussi de mesurer l’intelligence avec laquelle les précédentes adaptations avaient su ménager l’équilibre entre la force littéraire et les spécificités filmiques. Branagh n’est cependant pas en reste sur ce point : loin de s’en tenir à du théâtre filmé, il ne ménage pas ses effets pour matérialiser les dimensions spectaculaires, que ce soit dans la fibre surnaturelle (les apparitions du père, assez kitsch) ou épique, notamment dans un très beau final qui fait alterner le duel à l’épée et l’invasion du château par les forces de Fortinbras. La liberté que se permet le réalisateur tient dans l’époque de référence, un étonnant XIXème siècle qui permet une sorte de transition entre le folklore d’un Ancien Régime et une certaine forme de modernité, notamment dans les décors, un château qui n’a plus rien à voir avec la pierre brute qu’on pouvait trouver chez Olivier, Zeffirelli ou Kozintsev. Cet aspect aseptisé tranche beaucoup avec la vigueur de la langue, et requiert un certain temps d’adaptation, le soin apporté aux foules de figurants, aux costumes impeccables, aux galeries de glaces et surfaces carrelées conférant une esthétique un peu trop lisse.
A cette limite s’ajoute, du moins au début, cette sensation d’un objectif qui supplante les autres : l’exhaustivité. Le texte intégral ne suffit pas à Branagh, qui enrichit aussi par des visions l’illustration des propos, par flash sur l’empoisonnement du père, les étreintes torrides entre Ophélie et Hamlet, ou les nouvelles du front. Visuellement, le cinéaste cherche à tout prix à dynamiser les pans massifs de texte, à grands renforts de plans séquences circulaires tournant autour des personnages, procédé un peu redondant qui génère finalement l’effet inverse, à savoir une pesanteur dispensable. On sent, en définitive, un certain embarras de la part de Branagh, qui aurait probablement aimé arriver moins tard dans l’histoire pour ne pas avoir à faire cette course à l’originalité. Car si l’inventivité peut générer des belles idées, comme cette tirade centrale du To be or not to be devant un miroir sans tain et l’échange d’une grande violence qui s’en suit avec Ophélie devant son père impuissant, le duel final embarrasse par sa surenchère d’action qui voit Hamlet jouer à Tarzan sur un lustre. Il en va de même pour l’interprétation : si l’incarnation par Branagh lui-même du personnage éponyme force le respect tant elle tient presque de la performance sportive, le défilé des guests stars (Depardieu, Charton Heston, Robin Williams, Billy Crystal…) vire un peu au catalogue gratuit qui divertirait le spectateur ayant abandonné face à l’exigence de la langue et l’étirement ad nauseam des dialogues.
Des défauts finalement peu surprenants, et qui tiennent à cette ambition de vouloir respecter le texte à la lettre ; au terme de ce périple harassant, on admirera autant l’ambition du cinéaste que la démesure de la pièce originale. Sommet du verbe, elle exigeait de larges modifications pour vibrer avec la même intensité dans le monde de l’image.
(7.5/10)
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le 18 mars 2021
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