HARMONIUM (13,7) (Koji Fukada, JAP, 2016, 118min) :
Cette fable cruelle sur la famille nous convie dans une ville de banlieue ordinaire au Japon pour nous conter l’irruption d’un vieil ami sortie de prison au sein d’un foyer à l’apparence tranquille. Köji Fukada, réalisateur, scénariste, monteur et producteur japonais, connu dans notre hexagone depuis sa délicieuse comédie « Au revoir l’été » (2013) s’est présenté à Cannes 2016 dans la sélection Un Certain Regard repartant avec le Prix du Jury pour cet Harmonium. Un changement de registre et de ton avec ce thriller psychologique auscultant les dysfonctionnements de la cellule familiale. La première séquence inaugurale nous présente une petite fille jouant une sorte de comptine à l’aide d’un métronome. Tout semble harmonieux alors que l’enfant s’apprête à rejoindre ses parents à table. Puis elle revient arrêter le métronome. Tout ne serait pas aussi bien réglé qu’un papier à musique ? Elle s’installe à table à côté de sa mère alors que son père de l’autre côté a déjà entamé son petit déjeuner et se trouve plonger dans sa lecture semblant en dehors de la conversation de sa femme et de sa fille. Dissonance mise en scène et premier indice de disharmonie familiale pour ce foyer où le père tient un petit atelier d’aciérie attenant à la maison pendant que la maman protestante s’occupe de son logis et de sa fille. Le réalisateur filme ensuite l’apparition de l’étranger comme un retour d’un fantôme surgissant du passé, nous renvoyant au même écueil que le film de Pier Paolo Pasolini Théorème (1968) avec la même structure narrative. Toute la première partie, généralement filmé avec des plans fixes s’avère délicieusement maîtrisée, une vraie mécanique de précision où l’introduction de ce corps étranger vêtu de blanc, bloc monolithique toujours raide et bien droit, insidieusement prend de plus en plus de place dans la maison. L’étrange inconnu aux intentions troubles donne des cours de comptines à la petite fille, séduit chaque jour un peu plus la mère délaissée par son mari et s’aperçoit que ce dernier a peur de lui et décide de le faire chanter jusqu’à l’irréparable. Ce ressort scénaristique bascule la deuxième partie du long métrage aux confins du fantastique où les ellipses voient jour et laisse la famille complètement disloquée mentalement et physiquement. L’intrigue prend alors des chemins de traverses où les rebondissements sont amenés de façon parfois maladroites mais l’image garde constamment la même douceur malgré un propos horrifique, où la noirceur des êtres et leurs facilités destructives se dévoilent au grand jour jusqu’au final atroce qui nous laisse quelque peu sceptique. Malgré cette deuxième partie plus délicate, certaines scènes donne le vertige, des sueurs froides et de très beaux moments d’émotions lorsque le masque tombe, comme notamment une scène où Akié, la mère rêve sur un banc de sa fille adolescente à ses côtés dans un moment d’une quiétude quotidienne disparue depuis la venue de Yasaka. Ce thriller psychologique bénéficie d’une direction d’acteurs brillante mais qui souffre aussi des disparités et des longueurs dans l’évolution de l’intrigue, moins convaincante dans sa seconde moitié. Néanmoins on peut saluer la belle prestation ambiguë de Tadanobu Asano dans le rôle du malfaisant, avant de le retrouver également à l’affiche de Silence de Martin Scorsese. Une œuvre à la violence sourde, où les thèmes de la vengeance et de la culpabilité domine et à la vision radicalement pessimiste sur le bonheur de la famille dont l’auteur semble penser qu’il n’est qu’illusoire ne servant qu’à cacher nos profondes solitudes individuelles. Venez confronter vos failles dysfonctionnelles et constatez si votre miroir intérieur ressemble à cet Harmonium. Glaçant, intime et perturbant.