Pourquoi ce biopic sur Harvey Milk, premier homme politique américain ouvertement gay à être élu à des fonctions officielles dans une Amérique des années 70, pleine de préjugés ? Pourquoi Gus Van Sant s'intéresse-t-il au destin tragique de cet homme alors que depuis 2002 et Gerry, le cinéaste originaire du Kentucky ne s'intéressait qu'à l'adolescence, signant une série d'oeuvres méditatives et expérimentales sur la question ? Pourquoi rappeler un combat vieux de plus de trente ans maintenant ? Bref, pourquoi ce Harvey Milk ?
Parce que cette histoire est l'Histoire, tout simplement. Parce qu'il n'est jamais inutile de rappeler qu'il y a trente ans, la communauté gay au sens le plus noble du terme naissait grâce au courage d'un seul homme. Parce qu'il n'est jamais inutile de rappeler qu'il y a trente ans des gens étaient violentés et même tués pour la seule raison d'être différents. Parce qu'il n'est jamais inutile de rappeler qu'il y a trente ans, des personnes comme Anita Bryant ou le sénateur John Briggs humiliaient les invertis en défendant des idées telles que la Proposition 6, projet de loi abject autorisant le licenciement des enseignants ouvertement homosexuels. Parce qu'il n'est jamais inutile de rappeler qu'il y a trente ans, ce n'est pas si lointain et qu'aujourd'hui encore la discrimination n'est pas enrayée, loin de là.
Harvey Milk est donc un film plus qu'essentiel, il est nécessaire. Gus Van Sant avait ce projet en tête dès les années 90, imaginant d'abord River Phoenix dans le rôle avant de ne le proposer en 1998 à Sean Penn. Une longue attente qui en vallait définitivement la peine.
Loin des habitudes esthétiques qu'il épousait depuis quelques années, Gus Van Sant revient à une forme de narration plus traditionnelle. Cette mise en scène davantage académique n'est pas sans raison : si le film est conté de manière classique, à travers de nombreux flash-backs, le scénariste Dustin Lance ne s'est attaché qu'aux dernières années de la vie d'Harvey Milk. Contrairement aux autres biopic, il n'est pas question de brasser le plus grand nombre d'années de la vie du personnage principal. Ici, seul compte son combat. Un combat qui commenca à l'aube de ses 40 ans, et continua jusqu'à son assassinat, huit ans plus tard.
Harvey Milk est un film politique dont le sujet aurait pu se suffire à lui-même s'il n'y avait pas eu un grand cinéaste à la barre. Van Sant rend compte avec brio de l'exaltation des années 70, dans tout ce qu'elles avaient de fébriles et de fougeuses. Il pose sa caméra à des endroits où on ne l'attend pas toujours, et use d'images d'archive avec une rare intelligence à un point tel que son approche est quasi-documentaire. Cela n'enlève rien aux qualités filmiques de son oeuvre, mais l'effet propre à l'exposition des faits trouvent une raisonnance tant symbolique qu'historique rendant l'immersion totale. On est instruits, mais on est également touchés. Et qu'importe si les secrets les plus noirs sont passés sous silence ou tout juste murmurés, seules compte la dimension humaine et sociologique de la croisade d'Harvey Milk contre l'intolérance et pour l'intégration de la communauté homosexuelle.
Et au milieu de cette maestria, il y a Sean Penn. En un mot : bluffant. Pas seulement pour sa performance d'acteur, par ailleurs étonnante tant il arrive à imiter de manière saisissante le personnage qu'il incarne, de sa gestuelle à ses mimiques, de son rire aux intonations de sa voix. Mais aussi et surtout parce que son travail met en valeur celui de ses partenaires à chaque séquence, à chaque scène, à chaque seconde. Qu'il s'agisse de son amant James Franco qu'on avait jamais vu aussi inspiré depuis James Dean, ou Emile Hirsch s'aventurant bien loin de ses rôles dans Speed Racer ou The Girl Next Door, chaque échange entre les acteurs laisse pantois au point de coller sur nos rétines des étoiles. C'est aussi pour ça qu'à Hollywood on les appelle des stars.
En bref : Gus Van Sant signe avec Harvey Milk un drame humaniste inmanquable, esthétiquement impressionnant et habité par la présence magistrale de Sean Penn. S'il y avait un biopic à emmener sur une île déserte, ne cherchez plus, c'est celui-là.