Hashire Melos!
7.8
Hashire Melos!

Long-métrage d'animation de Tomoharu Katsumata et Masaaki Osumi (1992)

L'Antiquité du côté de l'Europe a très peu été abordée dans l'animation japonaise. On a eu droit au très mauvais Alexandre le Grand, et au singulier Thermae Romae. Dorénavant, il ne faudra pas oublier Hashire Melos, un film sorti en 1992 bien avant les deux autres, et qui est tiré d'une nouvelle d'Osamu Dazai publiée en 1940. Pour info, Hashire Melos est considéré comme un classique au Japon, où il est étudié dans les écoles. Son auteur a également écrit d'autres œuvres, dont certaines ont été adaptées en 2009.


Que raconte ce film ? Tout commence lorsque Melos, un berger grec, se rend à Syracuse afin d'acheter une épée de cérémonie pour le mariage de sa petite sœur. Il réussit à se procurer une épée chez un forgeron et fait également la rencontre de Celinuntius, un sculpteur talentueux, mais dépressif et alcoolique. Malheureusement pour lui, les choses vont mal tourner puisqu'il va être arrêté et accusé à tort de vouloir assassiner Denys le Jeune, le "roi" de la cité.
Il est condamné à être crucifié, et il ne lui reste plus que 3 jours à vivre. Melos supplie alors Denys de le laisser assister au mariage de sa sœur avant son exécution. Celui-ci trouve un compromis : il le laissera partir à condition qu'il trouve quelqu'un pour le remplacer comme otage. S'il ne revient pas d'ici 3 jours pour sa crucifixion, l'otage sera exécuté à sa place.
Alors que Melos désespère de trouver quelqu'un, Celinuntius apparait et décide de lui faire confiance...


Étant donné que j'ai commencé ma critique en parlant de l'Antiquité, autant terminé sur le caractère historique de ce film. Hashire Melos se déroule en 360 av. J.-C. à Syracuse : dès lors qu'un anime a le courage de poser un contexte historique précis, il est normal de vérifier son authenticité.


Et franchement, c'est presque un sans-faute.


Sur la forme, que ce soit dans les décors des bâtiments ou dans les sculptures, tout respire l'antique. Syracuse n'est pas montré comme une cité idéale, mais comme une cité hétérogène, avec son palais, ses temples, mais aussi avec ses quartiers plus modestes. Suffit aussi de voir comment Celinuntius boit son vin ou encore ce qu'on aperçoit du quotidien des gens.


Mieux, on sent qu'on est en 360 av. J.-C. : c'était bien Denys le Jeune qui gouvernait Syracuse à cette époque-là. De plus, il y a cette méfiance vis-à-vis de l'étranger : mieux ne valait pas être Carthaginois dans la cité. De la même manière que le Perse était l'ennemi de l'Athénien, le Carthaginois était l'ennemi du Syracusain. En fait, la défiance entre Carthage et Syracuse était même bien plus profonde que celle entre les Perses et les Athéniens, puisque les premiers n'ont cessé de se battre pour la domination de la Sicile ; alors que les seconds se sont parfois retrouvés contre un adversaire commun.


Il y a une chose dont j'ai douté pendant un moment : la crucifixion existait-elle à ce moment à Syracuse ? Car cette méthode était considérée comme barbare par les Grecs, qui ne l'utilisaient pas à cette époque. En fait, il y a une exception, et cette exception c'est justement la Syracuse de Denys le Jeune, puisque l'on pense que le tyran aurait pu emprunter cette méthode aux Carthaginois. Cet exemple montre qu'Osamu Dazai a bien réfléchi à son œuvre et n'a rien laissé au hasard.


En fait, je ne vois qu'une chose qu'on pourrait remettre en question : qualifier Denys de "roi". Tout simplement parce qu'il n'avait pas de titre royal. C'était un tyran, mot qui n'avait pas la même signification qu'aujourd'hui (un peu comme dictateur). Car un tyran n'était pas forcément mauvais chez les Grecs.


Bon, après cette étape obligatoire qui a permis de faire parler ma science, je vais m'intéresser à ce qui fait la force de ce film.


Les deux tiers du film sont consacrés à cette course contre la montre qu'entreprend Melos : réussira-t-il à marier sa sœur et à revenir avant 3 jours pour prendre la place de Celinuntius, qui risque d'être crucifié à sa place ? Et surtout, va-t-il tenir sa promesse ? Est-ce qu'il ne va pas finir par se dégonfler ? Quant à Celinuntius, sa confiance en Melos va-t-elle perdurer ? Ne va-t-elle pas finir par vaciller à mesure que le temps ne s'écoule ?


Hashire Melos est un excellent film, avec un suspens qui va monter crescendo jusqu'à la fin. Car rien ne sera épargné à Melos, et rien ne se déroulera comme il l'avait prévu. Plusieurs acteurs vont intervenir, pour différents motifs. Certains voudront l'aider tandis que d'autres tenteront de l'éliminer. Cette affaire va prendre des proportions qui iront jusqu'à dépasser le tyran lui-même.


Je ne suis pas étonné qu'Hashire Melos soit un classique dans les écoles du pays du Soleil Levant. En effet, le film a un caractère édifiant, une force morale surprenante qui lui donnent un côté touchant, poignant même. C'est une leçon d'humanité, sur ce que l'homme a de bien. C'est aussi une leçon donnée au tyran. S'il ne fallait résumer ce film qu'en un seul mot, ce serait celui-là : confiance.


Pourtant, Melos et Celinuntius ne sont pas des héros. Mais c'est justement leur simplicité qui fait qu'on s'attache à eux. Melos est typiquement le grand gaillard sympathique mais naïf, qui suscite parfois les moqueries des autres. Quant à Celinuntius, on va apprendre à le connaitre au cours du film, et découvrir qu'il cache un lourd secret.


La relation entre eux est un atout fort de l'anime. Les deux personnages sont pourtant séparés pendant une grande partie du film. Mais on finira par comprendre que la confiance réciproque n'était pas fondée sur du vent. Les différentes péripéties font monter le suspens, et l'on a même le droit à quelques scènes d'action qui sont souvent plus belles à voir que celles auxquels nous sommes habitués. En ce qui concerne la bande-son, elle accompagne très bien cet anime.


Denys le Jeune joue également un rôle assez important. Il ne croit pas au retour de Melos, et n'arrive pas à comprendre le geste de Celinuntius, qui accepte de servir d'otage sans aucune garantie à un paysan qu'il connait à peine.
Hashire Melos réussit à ne pas tomber dans le piège du manichéisme : Denys est quelqu'un de cynique, voir de cruel ; mais c'est aussi un époux attentionné et qui voue une certaine estime à Celinuntius. L'autre prouesse du film est d'éviter ce que j'appelle le "contemporainisme", c'est-à-dire prêter à des personnages qui ne sont pas de notre époque des pensées de notre époque.


Je recommande ce film à tout féru d'histoire ancienne. Et aussi aux autres, parce qu'Hashire Melos est d'abord, et avant tout, une formidable aventure humaine.


NB : à l'origine, j'ai publié cette critique sur un autre site.

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le 21 févr. 2016

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