On se pose un temps la question du recours à l’animation dans Have a Nice Day : cette ligne claire, ces aplats et ces longs plans souvent figés semblent proposer exactement l’inverse des libertés visuelles permises par rapport au film traditionnel. C’est probablement le signe d’un film fauché, mais aussi d’un parti pris : à rebours de la totalité des personnages qu’il va évoquer, le réalisateur Liu Jian fait preuve de modestie et de mesure.
Polar bordélique, Have A Nice Day ne limite pas l’ironie à son titre : dans cette histoire banale d’une chasse au magot, le regard n’est pas vraiment dirigé vers le sac bourré de liasses. Ce qui intéresse, c’est davantage la convoitise qu’il suscite, et ce qu’elle dit des personnages qui s’y laissent tenter. De ce point de vue, on peut rapprocher ce point de départ de celui de No Country for old man, à la différence près que la tonalité est moins noire, car les caractères plus proches des minables des autres films des frères Coen. Les différents fantasmes occasionnés par la perspective de la richesse dressent ainsi le portrait d’une Chine gangrenée par un rêve capitaliste décharné, entre la chirurgie esthétique, les start-up, les études à l’étranger et la religion qu’on casterait comme le ferait un courtier de banque, dans une alliance entre économie qui rappelle les figures du Touch of Sin de Jia Zhangke. Le clip karaoké sur Shangri-la, sorte d’interlude délirant, porte à son paroxysme toute cette ironie satirique et achève de désactiver tout ce que le film noir traditionnel veut construire en terme de charme, de mystère et d’intrigue.
La posture est donc celle d’un recul continu : impossible, durant ces 77 minutes, de réellement s’identifier à un personnage plutôt qu’à un autre, tant une figure est chassée par la suivante, sa médiocrité faisant échouer un plan qui relevait surtout de l’improvisation. Le scénario se plait ainsi à se transformer en bazar choral dans une nuit (autre ironie du titre…) cauchemardesque où les coïncidences se télescopent pour finir en carambolage assez jouissif.
La longue citation en exergue de Tolstoï prend finalement son sens : elle évoque la manière dont les hommes, en vain, souillent et piétinent le sol de leur activités fiévreuses « …le printemps, même dans la ville, était toujours encore le printemps ». A ceux qui pensaient faire le choix parmi les religions ou le bonheur comme on le ferait d’un titre sur Spotify, cette fable s'impose comme un leçon philosophique : quand on roule vers un mur, l’important, c’est la destination.