En découvrant « Heartless », on a un peu l'impression que son réalisateur avait peur d'avoir entre les mains son dernier film, tant son œuvre est dense, mélange de genres a priori antinomiques : la comédie, le mélodrame et bien entendu le fantastique.
Difficile donc de résumer son scénario qui, à l'image de l'esprit torturé de son personnage principal, est particulièrement complexe. Jamie est un garçon solitaire et dépressif, défiguré par une tache de naissance. Alors qu'il essaie tant bien que mal de gérer vie amoureuse et familiale dans une banlieue londonienne dévastée par la violence des gangs, il pactise avec le Diable en échange de son seul souhait : la beauté.
Dès l'introduction, Ridley s'affranchit des codes de narration classiques préférant de loin s'attacher au caractère de ce garçon dont la préoccupation n'est en définitive pas tant son apparence que la volonté de trouver sa place. Coincé entre un frère et une mère ultra protecteurs, voyant son quartier d'enfance mis à feu et à sang – au sens littéral du terme – Jamie ne comprend plus le monde qui l'entoure tout en ne supportant pas d'en être exclu, quel que soit le prix à payer pour en faire partie.
Cette sensibilité à fleur de peau, cette rage qui ne demande qu'à exploser, cette furieuse envie de vivre : tout est interprété magistralement par un Jim Sturgess quasiment présent dans tous les plans, doté d'une capacité à provoquer l'empathie qui nous immerge complètement dans le film. Un véritable tour de force, au vu de la dualité déstabilisante de la réalisation.
Les longs plans sur les graffitis recouvrant les murs d'immeubles en ruines à faire passer Manchester pour Wisteria Lane ou sur les ombres encapuchonnés qui menacent à chaque coin de rues détonnent violemment avec la représentation presque classique d'un Méphisto tout de cuir vêtu et de ses sbires démoniaques. Un peu comme si l'horreur gothique italienne croisait la route des clips de Prodigy ou d'Aphex Twin, « Heartless » fait des choix visuels surprenants, n'hésitant pas à jouer des inversions chromatiques, de la vue subjective ou des lumières stroboscopiques. Mais ce n'est pas pour autant que le film se limite à un maniérisme esthétique vain, tare majeure des productions horrifiques actuelles.
La mise en scène sert en effet une allégorie très pessimiste de la violence, dont les engrenages seront soigneusement démontés afin d'insister sur sa nature humaine. Car si le Diable est toujours en arrière plan, il n'est finalement comme toujours que le catalyseur de pulsions enfouies, le révélateur des faiblesses auxquelles, par culpabilité ou par lâcheté, s'adonnent chacun des personnages.
Profondément ancré dans une culture post punk désenchantée, l'idée du « No future » est plus actuelle que jamais dans le film de Ridley. A l'instar des péloches britanniques de ces dernières années, « 28 jours plus tard » et sa suite en tête, dans « Heartless » jamais ne poindront réellement de lueurs d'espoirs. Ou quand elles arriveront, elles revêtiront un caractère malsain, comme si rien ne pouvait émerger du chaos ambiant. Un chaos qui doit par ailleurs son statu quo à la peur insidieuse propagée sciemment par les médias, que des plans furtifs sur la petite lucarne s'évertuent à dénoncer.
Si la relecture du mythe de Faust se veut plutôt novatrice, « Heartless » n'est pas pour autant exempt de défauts. Quelquefois brouillon à trop vouloir cumuler les intrigues secondaires, certaines séquences manquent de crédibilité, comme l'histoire d'amour avec la charmante mais assez inexpressive Clémence Poésy. De même, les effets spéciaux gore ne sont absolument pas soignés mais surtout souvent inutiles, l'intérêt du film résidant bien plus dans ce qu'il laisse en suspens que dans son aspect explicite.
Cependant, ces imperfections arrivent à se faire oublier tant Ridley porte son film de bout en bout avec une honnêteté rare. Rejetant tout nombrilisme, le réalisateur fait preuve d'une générosité débordante, livrant un film où transpire sa volonté de partager son œuvre sans jamais s'accorder la moindre concession. En somme, un film certes parfois lacunaire mais qui dénote d'un amour véritable pour ses acteurs, pour ses spectateurs et pour le cinéma fantastique.
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