Heat
7.8
Heat

Film de Michael Mann (1995)

« All I am is what I'm going after »

Al Pacino et Robert de Niro sont 2 monstres du cinéma des années 1970 aux années 1990 et quand il s’agira pour Michael Mann, passionné de récits policiers, de réaliser un remake de son téléfilm L.A Takedown, maintenant qu’il a les moyens d’en livrer une version plus aboutie et plus réfléchie, il les fait tout simplement s’affronter dans un face-à-face légendaire à cette occasion. Est-ce que c’est là tout ce que le film à offrir ? Deux têtes d’affiche légendaires dans un scénario de téléfilm banal de gendarmes et de voleurs ? Bien sûr que non à mes yeux, Heat c’est bien plus que ça pour moi, l’un de mes films préférés et j’espère parvenir à vous expliquer pourquoi au cours de cette critique pendant laquelle je vous propose l’écoute du thème principal composé par Elliot Goldenthal.


On a d’un côté un gang de braqueurs très professionnels dans leur méthode, ce qui n’est pas très exceptionnel dans le milieu du cinéma, mais qui peuvent aussi être impitoyables si la situation l’exige, ce qui est déjà plus original pour des personnages au centre du récit. Ce ne sont pas des robins des bois qui font ça pour une bonne cause, qui ont une apparence de bad guy superficiel en gardant les mains propres... Ce sont des personnages attachants avec des liens d’amitié qui les unissent, une histoire personnelle qui leur est propre et même émouvante pour certains d’entre eux... tout en étant des criminels dont on peut parfaitement comprendre la motivation à les stopper.


Les flics ont de réelles raisons morales de vouloir les arrêter tout en ayant aussi leur part sombre avec des méthodes border-line par moment pour parvenir à leurs fins. Par ailleurs, il n’est pas certain que leur motivation première soit de rendre justice, de protéger la population... ce n’est qu’une conséquence possible de leurs actions qui peuvent être guidées par tout autre chose. C’est ce qui fait qu’on peut être aussi bien de leur côté que de celui des braqueurs en tant que spectateur, c’est vraiment un premier excellent point que de ne pas résumer le face-à-face du film à celui entre un protagoniste et un antagoniste très clairement identifiés.


Al Pacino est mon acteur préféré et son rôle de Vincent Hanna est l’un de mes préférés. On retrouve son charisme naturel qui impose le respect à tous, ses excès de colère qui en font presque un psychopathe en puissance, la compassion dont il peut faire preuve et son désespoir d’y recourir encore et toujours... Son personnage torturé par tout ce qu’il a pu vivre, sa vie qui se résume à un travail ingrat qui le consume mais pour lequel il réussit brillamment alors qu’il échoue dans tout autre domaine... il l’incarne parfaitement bien à chaque instant et quand en plus on sait qui lui ait arrivé de complètement sortir du script et de convaincre le réalisateur que c’était mieux comme ça, c’est encore plus admirable.


Robert de Niro n’est clairement pas sans reste non plus. Ses capacités de leader crèvent les yeux pour son personnage parfait dans ce qu’il fait en élaborant des stratégies méthodiques et prudentes, en se faisant respecter de ses hommes, en se salissant les mains s’il y a besoin... et il a aussi sa part d’humanité quand on le voit en train d’espérer une autre vie, ses réactions plus spontanées et plus passionnées au fil du récit... C’est un sociopathe qui n’hésitera pas à mettre en danger la vie de civils pour son profit personnel mais qui d’un autre côté peut aussi risquer sa vie pour secourir un de ses hommes, ce qui le rend très nuancé au final.


L’opposition entre ces deux personnages qui sont pourtant parfois si proches est magnifiquement illustrée par les dialogues du film, comme la fameuse scène du café qui est à l’origine un événement qui a bien eu lieu en vrai, étant donné que le film est un mélange de fiction et de personnages ayant réellement existé. Ils ont tous les deux compris qu’ils s’affrontaient, ils veulent tout deux en connaître davantage sur l’autre pour mieux le vaincre, ils ont tous les deux du respect sincère envers leur professionnalisme, ils se rejoignent sur une vision cynique des choses... mais ils sont dans 2 camps que tout oppose, les 2 acteurs n'apparaissant jamais dans le même plan pour le souligner visuellement, qui rendra inévitable la confrontation et ce qui confère au duel toute sa saveur à mon sens.


Quand le réalisateur dit qu’il s’agit de sa scène préférée et qu’il l’a tourné encore et encore jusqu’à ce que chaque parole, chaque intonation, chaque regard, chaque expression du visage aussi minime soit-elle soient parfaitement comme il l’entendait, j’ai aucun mal à le croire. Il ne s’est pas juste contenté de prendre 2 grands acteurs et de les faire jouer ensemble, il a travaillé leur personnage avec le plus grand soin pour que leur confrontation ait du sens et une portée dramatique tout en ayant été le plus appliqué possible sur les quelques interactions entre eux afin de remplir du mieux possible sa promesse initiale.


Les autres acteurs, mêmes très secondaires, peuvent aussi être brillants avec la jeune Nathalie Portman dans le rôle de Lauren Gustafson bien entendu qui interprète très bien la détresse de son personnage d’adolescente submergée par ses émotions, Joe Voight dans le rôle de Nate qui incarne en toute simplicité et efficacité le gars qui en a vu au cours de sa carrière et qui se veut la voie de la raison que l’on peut refuser d’écouter mais non sans risques, Ashley Judd dans le rôle de Charlene qui parvient à retranscrire beaucoup d’ambiguïté dans l’expression de son visage alors qu’elle vient de faire un choix dont elle peut à la fois être fière mais aussi regretter...


Ils n’ont beau n’avoir que peu de présence dans l’intrigue, ils ont tous quelque-chose d’important à apporter aux personnages principaux à un moment ou un autre. Je regrette juste que certains ne soient pas suffisamment développés à cause de scènes coupées au montage alors que le film fait déjà 2h45, autant aller au bout et atteindre les 3 heures à ce compte-là, ce ne sont pas 15 min qui vont rendre le film plus rythmé. Par exemple, les scènes avec Michael où il est avec sa famille, c’est toujours plus explicite de le montrer plutôt que de simplement l’évoquer :


La scène dans le magasin au début du film où il prend les masques de hockey pour le braquage montre comment peuvent se joindre sa vie quotidienne et son travail. Le fait de le montrer avec une petite famille en bon père de famille et de le faire mourir avec une petite fille dans les bras qu’il utilisait comme bouclier humain met en place un parallèle très pertinent sur les deux facettes de sa vie. On peut faire ce parallèle au montage final mais il aura été encore plus saisissant je pense dans une version longue qui ne verra jamais le jour, pas bien grave mais dommage tout de même.


Un certain fonds critique peut se trouver ici et là dans leurs intrigues plus secondaires, notamment sur la réinsertion professionnelle des prisonniers qui sont ici mis face à un choix des plus détestables : accepter une vie misérable de soumission à une autorité qui les exploite en tout impunité ou reprendre leur vie criminelle d’avant plus séduisante jusqu’à ce qu’elle les condamne. Par ailleurs, ces différentes sous-intrigues finissent toujours par rejoindre assez pertinemment l’intrigue principale à un moment ou à un autre, ne serait-ce qu’en amorçant un propos qui sera au cœur d’une scène cruciale par la suite, ce qui est assez plaisant.


Michael Mann offre également quelques plans très travaillés dans leur ambiance et dans leur sens pour que seule l’image puisse y délivrer son message, comme Neil assez tôt dans le film regardant l’horizon bleutée depuis sa fenêtre avec son flingue posé sur une table au premier-plan. La position de ce dernier représente selon moi la violence comme ce qui est le plus incontournable, la couleur majoritairement bleue pose une ambiance assez froide et inquiétante, le regard du personnage vers l’horizon à travers la fenêtre montre qu’il aspire peut-être à autre chose sans pouvoir l’atteindre... et rien qu’avec ce plan, tout l’état d’esprit du personnage peut s’y retrouver, c’est assez brillant.


Qui plus est, il y a assez peu d’action dans le film mais quand il y en a elle sait se faire intense sans être spécialement spectaculaire. Les acteurs ont suivi une formation pour que leur posture, leurs mouvements, leur coordination... paraissent cohérents pour donner une dimension tactique à l’ensemble et ça se mêle à une mise en scène très pertinente qui va suivre à tour de rôle le point de vue des personnages. Ça paraît tout bête mais la caméra à l’épaule qui s’abaisse et se relève en même temps que le personnage qui se met à couvert puis à découvert, ça marche plutôt bien en matière d’immersion.


Heat ne parvient pas seulement à honorer la promesse initiale de faire s’affronter 2 des meilleurs acteurs de l’histoire du cinéma pour la première fois, il la sublime en s’appuyant sur leur performance au sommet de leur art ou presque mais aussi sur une ambiance mélancolique des plus captivantes, des acteurs secondaires très impliqués et appliqués dans des scènes courtes mais très pertinentes, une intrigue intelligente qui fait se rejoindre différentes intrigues en une seule avec un propos central aux multiples facettes, une réalisation solide illustrant avec réussite et subtilité ce que dit le film...

damon8671
9
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le 2 nov. 2018

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8 j'aime

damon8671

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