Le vent se lève
Avec Hedi, Mohamed Ben Attia raconte l’histoire d’une révolution presque impossible, mais qui souffle pourtant dans la vie d’un trentenaire tout chamboulé. Quand on le rencontre, Hedi est happé par...
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le 22 déc. 2016
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HEDI (13,8) (Mohamed Ben Attia, TUN, 2016, 93min) :
Ce drame personnel raconte le destin d’Hedi un jeune trentenaire taiseux, sorte de monsieur tout le monde vivant chez sa mère à Kairouan en Tunisie peu de temps après le printemps arabe. Le réalisateur tunisien dès son premier long métrage (coproduit par les frères Dardenne) a eu l’honneur d’être en sélection officielle au festival de Berlin et de repartir d’Allemagne avec le Prix du Meilleur Premier Film et l’Ours d’argent du meilleur acteur ! Le premier plan affirme directement le contexte autour du personnage principal, et souligne l’enfermement multiple de cet homme commercial chez Peugeot aspirant à s’affranchir d’un déguisement porté sans conviction et d’une vie qu’il aimerait dessiner autrement. La mise en scène tout au long du film ne va pas lâcher Hedi, serrant les plans au plus près vers ce visage encore enfantin et souligne la voie toute tracée par une mère assez castratrice ne cessant de le traiter encore comme un petit garçon (scène de l’argent de poche entre autres…). Une route menant à un mariage arrangé, respectant le poids des traditions, des cultures et de la société tunisienne. Le jeune homme se contente d’obéir et de baisser souvent la tête, livre ses émotions par le biais de bande dessinées sur un carnet de notes lors de réunions de travail où dès qu’il en a la possibilité et la nuit voit clandestinement sa future femme, tous deux confinés dans sa voiture. Hedi, c’est l’artiste de la famille celui qui ressemble à un père disparu, le petit canard par rapport à la réussite d’un frère aîné ingénieur vivant en France. Alors il vit sa vie de manière monotone, sans faire de bruit et se laisse humilier sans s’opposer par sa mère, son patron et son frère. La mise en scène souligne sobrement ces situations n’ayant recours à aucun artifice. La réussite du film tient par sa qualité d’écriture où les personnages n’ont pas les traits trop manichéens et forcés, l’intrigue se déroule lentement avec la présence sous-jacente de la « révolution de la dignité » de décembre 2010 à janvier 2011 en Tunisie servant de toile de fond sociétale à l’histoire. Loin du film à thèse avec finesse ces évènements très récents pour mieux nous conter le récit d’une émancipation personnel dans ce contexte social. Cette trame manque certes un peu d’originalité sur le principe mais d’habitude plutôt montré par le biais féminin, l’originalité venant par le prisme masculin. Par le biais d’un ressort scénaristique, notre antihéros va se trouver obligé peu avant le mariage de devoir prospecter en porte à porte chez des clients à travers le pays. Cette situation va l’amener à séjournée dans un hôtel de touriste assez déserté, où il va rencontrer Rim, une animatrice de club pleine de vie. Un autre espace d’enfermement mais ouvert sur la mer comme une séminale utopie se libérant des vagues à l’âme. Cette femme va être le stimulus déclencheur des doutes et des aspirations pour Hedi à mener une autre vie. Par petites touches naturalistes le réalisateur va nous montrer la volonté de cet homme cloisonné de s’affranchir au fur et à mesure de ces contacts avec ce vent de liberté incarné par la belle volubile Rim. De manière insidieuse en prenant le temps, comme pour faire une révolution en Tunisie ou ailleurs, cette libération de l’esprit ne se fait pas sans erreurs psychologiques et chemins tortueux comme une parabole magnifique au contexte politique du pays. La rigueur du script n’empêche pas quelques envolées plus légères dans la seconde partie du film où le héros amoureux jouit de cette liberté au côté de son soleil féminin qui illumine sa vie d’avant nuancée de gris. Sous nos yeux Hedi sort de sa chrysalide par petites touches, par le miroir tendu par Rim, notamment lors d’une scène où elle lui fait comprendre que de publier ces dessins n’est pas un rêve mais un projet, et on le voit enfin exprimer des émotions par le biais de son visage et par ses mots. Le paroxysme de cette vraie libération personnelle est atteint lors d’une scène poignante où devant sa mère, Hedi ose enfin dire en pleine face de manière violente et lacrymale tous les ressentis amers enfouis au fond de lui depuis sa naissance en dévoilant aussi les failles de son frère si adulé. L’acuité du scénario réside dans sa manière d’amener son protagoniste à avoir enfin la possibilité de faire des choix, mais est-il prêt à franchir toutes ces portes s’ouvrant à lui ? Le réalisateur distille tout au long du film ce suspense romantique jusqu’à la scène finale qui clôt ce conte un peu cruellement. La réalisation formellement (trop) modeste, opte pour être principalement du point de vue du héros sans jamais tomber dans un pathos malvenu mais s’en trouve parfois un peu trop cloisonné empêchant un peu au film certaines aspérités plus abouties et de prendre une plus grande ampleur pour nous émouvoir totalement. Malgré cela ce portait sensible d’un homme et l’évocation de la société tunisienne post Ben Ali, se révèle assez pertinente et se diffuse en nous bien après la séance, car le propos s’avère également universel et peut se refléter au plus profond de nos carcans intimes. La réussite du film repose sur le choix judicieux de l’acteur Madj Mastoura, une belle révélation par la subtilité de son jeu, et l’incarnation de ses tourments intérieurs, bien secondé il est vrai par la pétillante et rayonnante Rym Ben Messaoud. Cette peinture sociale sans esbroufe (rappelant le cinéma des Dardenne) apporte un point de vue différent sur l’amertume du printemps arabe et le devenir de la Tunisie tout en nous donnant à voir un film ne manquant ni d’intime, ni de cœur. Venez découvrir cet estimable premier film et faire connaissance avec Hedi. Humain, sincère et touchant.
Créée
le 28 déc. 2016
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