L'art de la guère de jugeote

Après une poignée de fourvoiements hollywoodiens qui furent pour lui une prise de position sur le marché, Jet Li revient en Chine sous la direction de Zhang Yimou. Le contraste peut surprendre, le cinéaste de Happy Times n'étant pas habitué à filmer des combats. Un casting ultra alléchant ( Donnie Yen, Tony Leung, Maggie Cheung, Christopher Doyle à la photo... ) achève de faire de ce film une des plus grosses attentes de l'année.


J'achète sans plus attendre le DVD et découvre un film plutôt joli, avec ses camaïeux tant dans les décors que dans les costumes, soulignés par la photo toute en finesse. De ce point de vue, le film est une réussite.
Ceci étant dit, je vais maintenant en raconter l'histoire, dans le bon ordre, histoire de ne perdre personne.

Il y a quelques années, Tony Leung et Maggie Cheung sont allés péter la gueule à l'Empereur Qin parce que c'était un autocrate agressif et méchant. Mais à la dernière seconde, Tony l'a épargné en lui disant qu'il a intérêt à unir la Chine bien comme il faut sinon il aura massacré des milliers de personnes en pure perte.
Maggie, pensant que c'est rien qu'une chiffe-molle en veut à Tony à tout jamais.
Malgré tout, pour faire bonne figure, Le Qin, il met la tête de Tony et Maggie à prix. Ainsi que celle de Donnie Yen tant qu'à faire...


Arrive Jet Li. Il terrasse Donnie Yen ( pour la deuxième fois de sa carrière ) et s'en va trouver Maggie et Tony pour leur faire la peau. Après quelques atermoiements, Tony lui explique pourquoi il n'a pas tué Qin quand il en avait l'occasion, Jet met alors au point un stratagème Rommelien : il va faire croire qu'il a aussi buté Tony et Maggie pour s'approcher suffisamment de l'Empereur ( puisque c'est la récompense, le droit de s'approcher... ) afin de le terrasser grâce à une technique secrète.

C'est là que commence le film, en vrai. Quand on le découvre, on y voit évidemment une Rashomonade qui parait savamment dosée, à base de mensonges et de contre-vérités... Mais quand à la fin du film on fait le point, tout ce qu'on a vu n'a aucun sens.


Jet Li et L'Empereur SAVENT que Tony l'a épargné, Et Jet Li SAIT que Qin le SAIT...
Et donc le voilà t'y pas qui déblatère une série de bobards complètement invraisemblables, comme quoi il a joué sur la jalousie galopante de la maison pour les piéger et les entretuer, ces fieffés félons qui en voulaient à votre peau, messire...

Alors l'Empereur, qui SAIT que Tony n'est pas comme ça, et que Jet MENT comme un arracheur de dents, le laisse avancer, mais lui dit : " A mon avis tu mens, ça c'est passé comme ça : "
(...) "

Et rebelotte : mensonges, sornettes et pipeaux, Jet Li est au courant, l'Empereur est au courant... Mais qu'à cela ne tienne, Jet Li avance encore ! Le taré, quoi... Il le sent pas venir le piège ? Il est face à un type à qui il a menti pendant trente minutes et qui lui a bien fait comprendre qu'il n'était pas dupe en lui racontant à son tour une sacrée salade... et hop, Jet il avance.


Et là, tac ! il fait sa technique-surprise ! L'Empereur est lui aussi un putain de gros con, quand même, de laisser s'avancer un menteur aux facultés mentales plus que discutables, mais comme on ne réécrit pas l'histoire, Jet se rétracte et s'en va... Avant de se faire cribler de flèches, parce que quand même, faut pas déconner avec les figures du pouvoir.


Vous l'avez compris, on a affaire à un "scénario" complètement con, de mecs qui se relisent pas. " Oh, on va faire un truc à la Rashomon, c'est très cultivé ! " jubilent-ils... Et du coup ils se permettent de faire franchement n'importe quoi. Vu que la technique tient le coup ( à deux ou trois plans de vols-de-fléches-infographiques près ) ça fait illusion, mais franchement un tel travail de sagouin ça me désole.


En plus, idéologiquement c'est franchement infâme de céder aux consignes du Parti pour obtenir un budget conséquent en balançant de basses vilénies comme " il faut être tous unis sous le même ciel ! " à l'heure où Taiwan pose problème.
Sur le même sujet et avec un budget tout aussi confortable sans un Yuan du gouvernement, Chen Kaige a livré L'Empereur et l'Assassin, cent fois plus profond, intelligent et impressionnant.


Comme quoi il ne suffit pas de taper dans le cent-pour-cent clinquant, il faut aussi engager des gens qui savent écrire, fouiller les personnages, donner une vraie importance à leurs interactions... Des trucs qui relèvent du B,A-BA. et qui sont ici complètement sacrifiés.


Foutage de gueule... Tiens, pour me venger, je ne vais pas me relire non-plus !


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PS : l'idéogramme créé par Tony Leung au cours du film est moche à pleurer.