Après avoir été l'objet du spécifique Anthropoid l'an précédent, Reinhard Heydrich est à nouveau la cible d'un film sur la seconde guerre mondiale dont le casting atteste de l'ambition – sans produire non plus un événement. HHhH retrace son ascension fulgurante au sein de la hiérarchie nazie et le montre au commandement des opérations, jusqu'à l'opération Anthropoid qui se solda par sa disparition (survenue avant son affectation à Paris – la France aurait donc pu être la terre de plus gros dégâts). Ce film au nom insolite (acronyme de « Himmlers Hirn heißt Heydrich » soit 'le cerveau d'Himmler s'appele Heydrich') est l'adaptation d'un premier roman homonyme – celui de Laurent Binet (six ans après un témoignage de son expérience de prof), au retentissement international sans avoir garanti aux opus suivants de l'auteur la même destinée.
Le mode discursif atypique de cette source déteint sur la version grand-écran. Le film ne cherche apparemment pas à interroger et encore moins à s'interroger sur lui-même et ses modes de représentations. Mais sa livraison est ambiguë au point de donner le sentiment d'assister à deux spectacles avortés collés l'un près de l'autre – non confondus en un seul. Il semble hésiter : doit-il héroiser et diaboliser ? Il s'en tire en pratiquant l'un et l'autre à un degré esthétique, dépourvu de jugements moraux et d'émotions pures. Il sublime les deux parties en gardant des distances, intègre les passages obligés servant la mémoire et la compassion 'nécessaire' (ou simplement inévitable pour la plupart des gens normaux, non-dominés par une ligne de conduite idéologique face aux catastrophes humaines). De même, il cumule des aspects documentaires et romantiques, 'personnels' et conventionnels, en laissant des zones grises assez larges pour aider la cohabitation.
À partir d'une cinquantaine de minutes, le récit tourne sa veste et se concentre sur Jan Kubis (Jack O'Connell), le résistant tchèque attentant à la vie de notre antihéros en 1942. Cette seconde moitié sans surprise (on pourra dire 'inutile') provoque l'affadissement d'un film souffrant déjà d'une tendance à l'éparpillement – malgré la rigueur des 'traits'. Les thématiques et surtout personnages sont peu creusés, mais HHhH en fournit de belles illustrations, à la limite des splendeurs d'un cartoon sérieux et ténébreux. Le style est rapide, donne une impression de dynamisme et de synthèse 'impérialiste' sans avoir besoin d'excès ou d'hystéries – pas de quoi remplir les moments les plus nonchalants. La fusillade de la dernière période est d'un beau calibre. Lorsqu'il s'agit de descendre sur le terrain qui relie directement l'ensemble des œuvres sur la seconde guerre mondiale, HHhH se montre conformiste – en ayant l'air de refuser de demander pardon pour ses éventuelles offenses, mais sans plus de détermination. Il se ré-hausse en soulignant la force de l'engagement des résistants, avec sa part de 'suicide en suspens' – au lieu de simplement apporter des victimes, éventuellement d'une dignité décalée ou désespérée.
Comme le précédent film de Cédric Jimenez (La French – où les deux frenchies absorbés à ce casting anglophone étaient déjà présents), celui-ci est pénalisé par son manque de rythme – qui n'est pas le pire défaut lorsqu'on souhaite jouer sur l'intersubjectivité (le problème ici est plutôt qu'on l'annonce sans y aller). Finalement HHhH dresse des esquisses valables, voguant jamais loin de la caricature maniérée. S'il y a fureur elle n'est pas exubérante. Elle est en revanche d'une efficacité remarquable – on entrevoit une mission et une logistique (avec ses exécutions sommaires en quantité et qualité industrielles), sans beaucoup s'avancer sur les termes du discours et de la philosophie. Heydrich apparaît comme un type habité par une colère froide - probablement monstrueuse, à la personnalité réprimée et idéaliste dans une acception restrictive et peu sentimentale. Il tient du sauvage impulsif à ses heures et fondamentalement destructeur – sa destructivité aura été canalisée jusqu'à être ré-orientée par l'idéologie et la planification. « L'homme au cœur de fer » [d'après Hitler] a trouvé un support plus effrayant que nature avec le corps de Jason Clarke. Le personnage de sa femme (par Rosamund Pike – the Gone Girl) s'affirme également – en revanche les 'gentils' de l'histoire ne savent pas s'imposer, à tel point que les retours tendres sur leur prise de contact ne génèrent qu'une satisfaction au mieux esthétique, sinon simplement celle de contempler un travail impeccable et sans vocation particulière.
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