Ni avec toi ni sans toi

Après sa trilogie sur des sujets engagés au sein de l'entreprise (et l'excellent dernier volet Un autre Monde), Stéphane Brizé nous propose avec Hors-saison son dixième long-métrage, revenant à la profondeur des relations humaines incertaines et des sentiments amoureux, avec la grande délicatesse qu'on lui connaît (comme dans Mademoiselle Chambon, préférant les non-dits du regard aux grandes déclarations).

Cette rencontre presque fortuite entre Mathieu le comédien renommé et Alice la pianiste, 15 ans après leur rupture douloureuse, dans un rythme lent et mélancolique, n'est pas sans rappeler le film Past Lives de Celine Song. La fiction de Stéphane Brizé questionne en effet le même sujet du Que se serait-il passé si... ?, d'autant qu'ici les deux personnages ne sont pas pleinement satisfaits de la vie qu'ils ont menée depuis cette rupture, avec compagnon(e) et enfant, et se retrouvent dans cette mélancolie d'une relation non aboutie.

Hors-saison, c'est surtout hors du temps dans une station balnéaire, un institut de thalassothérapie et un bord de mer magnifique où tout semble presque vide, ce qui accentue la langueur et permet de mieux se concentrer sur les vies et douleurs des deux personnages.

Le réalisateur prend tout son temps, l'arrête presque, pour nous faire vivre une romance en mode retour de flamme, inévitable entre eux après cette rencontre inopinée, d'autant plus intense que le spectateur se doute qu'il ne sera sûrement qu'un feu de paille et qu'ils vont en souffrir !

Dans le rôle de Mathieu le comédien, Stéphane Brizé aurait pu choisir encore Vincent Lindon, présent dans 5 de ses 9 films précédents, mais il lui préfère Guillaume Canet, connu comme un être mélancolique dans la vie, qui se glisse à merveille dans cet homme en plein doute et interrogation sur sa carrière d'acteur de cinéma; de surcroît, il vient de tout plaquer dans la préparation de sa première pièce de théâtre; il est conscient qu'il a fait du mal à beaucoup de monde. A l'opposé, on entend sa femme au téléphone (voix qu'on reconnaît celle de Marie Drucker, co-scénariste du film), sûre d'elle dans un métier qui ne lui laisse pas une minute; elle lui recommande de continuer, après tout un échec ça arrive : le contraste entre eux est saisissant, ce qui accentue les doutes de Mathieu sur la suite de sa carrière.

Pour jouer la pianiste, le réalisateur ne pouvait bien sûr pas choisir une actrice française connue dans le rôle de Alice, puisqu'on a par ailleurs un comédien célèbre ! Il fait astucieusement appel à une actrice italienne de renom mais peu connue en France, Alba Rohrwacher, qui incarne, avec beaucoup de sensibilité, un visage aux couleurs changeantes et cette intelligence du regard, une femme accomplie, bien mariée avec un élu local de cette station balnéaire, et mère d'une jeune fille de 15 ans.

Mais qu'est-ce qui peut la pousser à revoir Mathieu, qui se retrouve là par hasard, et qui l'a "larguée" durement 15 ans avant ? Tout l'intérêt du film est ici, et sa "nouvelle" relation avec Mathieu va nous en faire découvrir les raisons cachées.

Tout cela est parfaitement mis en scène par Stéphane Brizé, et le couple Canet/Rohrwacher est très bien dirigé pour se (re)découvrir, entre hésitations et non-dits, et sans doute enfin se comprendre; il faudra attendre la toute dernière minute pour que Mathieu délivre sa vérité et qu'Alice la comprenne et l'accepte !

Parmi les autres points très positifs de cette réalisation, en dehors des magnifiques décors de bord de mer, on adore la musique de Vincent Delerm et ce thème musical superbe (Ni avec toi ni sans toi qui exprime parfaitement son ambiance), revenant maintes fois à la Un homme et une femme.

Malgré mon enthousiasme, je dois être honnête en évoquant certains défauts bien présents et qui vont en rebuter plus d'un : ce métrage de deux heures est lent, on l'a dit, mais aussi trop long ! Un meilleur rythme et certaines scènes inutiles supprimées auraient pu permettre d'enlever 20' sans nuire à la qualité de l'ensemble : au début, la rencontre entre Mathieu et Alice arrive très tard, et les scènes en lien avec l'activité de Alice dans un EPHAD et ses amies, sont trop longues sans véritable apport à cette romance ravivée qui est la vraie portée du film.

Je recommande toutefois le visionnage de Hors-saison, les deux acteurs sont épatants, se répondent parfaitement dans leur quête de sens et d'amour à leur vie; ce sera à chacun de juger de l'équilibre mélancolie/sentiments/durée et de la valeur du film à leurs yeux.