Je débute avec cette critique du "Hulk" d'Ang Lee, ce que j'appellerai la "Trilogie de la réhabilitation". Le concept est simple, bien éculé: Choisir trois films généralement démontés (ou au moins snobés) par la critique et les défendre dans la mesure du possible.
Aujourd'hui, je me fais l'avocat de l'adaptation de l'incroyable Homme Vert à l'écran, avant la mise en chantier de l' "Univers Cinématographique Marvel", avant Edward Norton et avant les Avengers.
Première constatation: Ce film n'est pas un "divertissement facile", encore moins un "blockbuster efficace". Le rythme est bâtard, certaines scènes prennent carrément le contre-pied des recettes des films de super-héros auxquels le jeune public (moi le premier) a été habitué. Des fois, on s'ennuie ferme.
Oui, le rythme est le principal défaut du film. Le manque d'action en soit n'est pas dérangeant, surtout qu'il permet de faire de ce film ce que j'appelle un "film de super-héros à vision", au même titre que les "Batman" de Burton (je reviendrai plus tard sur les similarités entre les deux).
Mais certaines scènes de dialogues sont bien lourdes, hyper-répétitives (les confrontations père-fils qui n'en finissent pas), la trame semble parfois tourner en rond (Hulk s'échappe d'un endroit pour se rendre à un autre...où il se refait capturer.)
Je comprends aussi que les partis-pris de la réalisation puissent choquer. Ang Lee veut rattacher son oeuvre à ses origines, les comics. Cela donne lieu à un découpage de l'action dans un "style BD", à une division en plusieurs cases se rejoignant ensuite, afin de donner une vue d'ensemble des événements. Parfois ça marche du tonnerre (les expériences en laboratoire, l'arrivée des hélicoptères militaires à la base du désert...) et parfois...ça rend l'action inutilement hachée, créé des transitions au goût douteux... Un parti-pris courageux donc, qu'il convient de saluer, mais un résultat mitigé.
De même, on ne comprend pas les délires avec certains plans. Par exemple, le père de Banner est toujours filmé avec des gros plans sur son visage, plans qui parfois, sans aucune raison, changent d'inclinaison. Même si c'est voulu, c'est pas vraiment du plus bel effet.
Un rythme un peu pataud, des effets pas toujours réussis. Voici les principaux reproches que l'on peut adresser à ce "Hulk". C'est là que le plaidoyer commence.
Comme le disais précédemment, ce film a une "vision". Bien plus qu'un film traitant de l’héroïsme, de la transformation, il développe une dimension psychanalytique passionnante, une réflexion sur les événements qui nous forgent. Le jeune Banner a été traumatisé très jeune par la mort violente de sa mère par son père (les scènes de Flash-Back sont, d'ailleurs, très bien réalisées), il a hérité de l'ADN modifiée de ce meurtrier dont il ne se souvient pas. Il est déjà une sorte de "monstre" avant sa transformation finale due aux rayons gamma.
Le symbolisme des portes souligne cet aspect. Dans l'un de ses rêves, Hulk se tient dans l'ombre derrière une porte, comme un refoulement. De même, Banner n'ose pas ouvrir la porte de la chambre de ses parents où le meurtre a eu lieu, lorsqu'il retourne sur les lieux du crime.
Cette quête d'identité difficile a beau être ponctuée de discussions pas bien originales entre Banner et Betty Ross, certaines fulgurances de mise en scène lui insufflent toute sa puissance.
Ensuite, il y a l'utilisation de l'espace, des représentations symboliques. C'est là que le parallèle avec Burton a, selon moi, lieu d'être.
Pour reprendre l'exemple de « Batman », la ville de Gotham est réduite à quelques lieus emblématiques, à une ambiance à la fois délirante et malsaine. Sans nous montrer tous les aspects de la ville, Burton arrive à créer cette atmosphère mystérieuse et oppressante. On sent bien que Gotham est « la ville du crime » alors que l'on en voit quasiment rien. Et ce pouvoir de suggestion des décors, Ang Lee l'applique durant tout son film.
On a le labo, le lieu qui représente à la fois la vie quotidienne de Bruce Banner et son irréversible transformation, la maison de Betty perdue dans une forêt à l'aspect presque fantastique (rien que par l'aspect des arbres), l'ancienne maison de Banner chargée de souvenirs et de souffrance...
Et c'est ce qui différencie, selon moi, ces films de super-héros réalisés par des « visionnaires », qui veulent porter les thématiques de leur film au delà du simple combat du bien contre le mal, des films formatés, pas forcément mauvais, qui pullulent depuis le milieu des années 2000.
Enfin, j'ai été totalement subjugué (non, le mot n'est pas trop fort) par les scènes d'affrontement dans le désert. A delà de la destruction du matos de l'armée par Hulk (matos qui a le bon goût de ne pas exploser à tout bout de champ comme dans l'adaptation de Leterrier), c'est surtout les mouvements du personnages qui sont impressionnants.
Les gros plans sur la créature peuvent déstabiliser tant la CGI de l'époque semble cheap maintenant, mais sa gestuelle calquée sur King-Kong et ses déplacements sont parfois à couper le souffle.
Les sauts d'une dune à l'autre, d'une montagne à l'autre... Je pense qu'aucun autre blockbuster n'avait réussi à me faire ressentir ces sensations d'immensité, de vertige auparavant.
Tout comme dans le récent « Pacific Rim » de Guillermo Del Toro, la CGI est combinée à un rendu organique ahurissant. Ang Lee semble avoir été largement influencé par son travail sur « Tigre et Dragon » et multiplie les plans aériens d'une beauté ahurissante. Ca ne dure pas longtemps, mais bordel que c'est bon.
Autre moment de bravoure : l'affrontement final père/fils dans le ciel. Ang Lee retranscrit un véritable combat de titans en calquant les mouvements des personnages sur des strip de comics, ce qui donne l'impression que le combat est peint sur une toile. Là encore, quelques secondes prodigieuses.
Alors à la vue de toutes ces éloges, pourquoi je ne mets pas plus de 6/10 à ce film ?
Les prises de risque d'Ang Lee et sa volonté de faire de « Hulk » un film de super-héros complexe et intelligent ne l'empêchent pas de tomber dans certains écueils du genre.
Le papa de Banner est méchant pour une raison qu'on ne comprend pas toujours. On sent que le réal veut en faire un personnage torturé, que le fait qu'il ait un pet' au casque explique ses motivations un peu floues, mais il se retrouve tout de même au « panthéon des méchants de film de super-héros aux buts un peu aléatoires » (tuer Betty Ross, se venger du général, sauver son fils, prendre ses pouvoirs...on se perd).
Certaines scènes mettant en scène Hulk s'approchent de trèèès près du ridicule (elles sont parfois complètement dedans, en fait). On passera donc volontiers sur les chiens mutants, ou Hulk arrêté par de la « super glue » dans la base souterraine. Ca a du charme, mais 13 ans plus tard, ça passe mal.
Ensuite, si les acteurs font le job, l'intérêt de leurs personnages vient plus de la qualité de leur écriture que de leur performance réelle (Eric Bana est correct, sans plus).
Et enfin, comme je l'ai déjà dit, on se fait parfois sévèrement chier.
Conclusion : « Hulk » est un film très personnel, éloigné des blockbusters super-héroïques standards. Ses nombreux défauts sont compensés par un charme retro, des partis-pris scénaristiques intéressants, quelques moments visuels inoubliables, une réalisation chargée de symbolisme.
Ce n'est certainement pas un grand film, mais une sorte d'ovni qui vaut le détour (et plus que cette moyenne sur le site!).