Black voices father
Les grands penseurs se reconnaissent dans la propension qu’ont leurs idées à dépasser l’époque qui les a vu naître. En écho avec notre temps, ils l’éclairent d’un jour nouveau ; tristement...
le 18 nov. 2020
48 j'aime
1
Les grands penseurs se reconnaissent dans la propension qu’ont leurs idées à dépasser l’époque qui les a vu naître. En écho avec notre temps, ils l’éclairent d’un jour nouveau ; tristement prophétiques ou riches d’un surplomb dont nous manquons, leur parole est un phare, et donnent à la notion même de culture tout son sens : non un savoir, mais un outil de réflexion.
James Baldwin est de ceux-là. Écrivain majeur de la seconde moitié du XXème siècle, théoricien de la lutte pour les droits civiques des afro-américains, son œuvre questionne sans relâche la question de la ségrégation, raciale ou sexuelle, et de ce qu’elle dit de l’Histoire des Etats pas si unis qu’ils le prônent. « L’histoire des noirs en Amérique, c’est l’Histoire de l’Amérique. Et ce n’est pas une belle histoire », explique-t-il.
En prenant à bras le corps l’abondante prose de l’auteur, ainsi que ses conférences durant les années 60, Raoul Peck se pose donc la question de sa mise en image. Si, sur le propos, le film est déjà passionnant, son parti pris formel l’est tout autant. Dialogue entre les époques et les personnalités, voyage dans les formats, I am not your Negro mêle ainsi conférences, interview, extraits de films, de publicités, d’actualités ou de jeux télés pour dire l’Amérique. Le montage, très fluide et toujours pertinent, permet ainsi non une plate illustration, mais une la construction d’une véritable chambre d’écho aux pensées d’un auteur qui ne cesse d’interroger les évidences. Entre la non-violence chrétienne du Pasteur King et l’action radicale de l’activiste Malcolm X, Baldwin redéfinit, questionne, dissèque, dépasse la violence des images par une analyse sociologique d’une acuité rare. Il est donc primordial pour le documentariste de laisser au texte sa place, mis en voix par Joey Starr (et Samuel L. Jackson dans la version anglaise) avec une attention déférente portée aux mots.
Le flot d’images vient ainsi actualiser une pensée qui se construit sur la durée : le montage, fluide et d’une grande pertinence, offre la mémoire d’une époque (les années 60) et celle d’un passé, à savoir les origines esclavagistes de l’Amérique et la banalisation médiatique ou fictionnelle du racisme ; mais il tisse aussi des liens terribles avec une actualité qui ne cesse de montrer à quelle point les plaies de la cohabitation sont toujours béantes (et qui, trois ans après la parution du documentaire, sont encore bien davantage exacerbées).
C’est cette construction d’un kaléidoscope temporel qui donne toute sa valeur à ce documentaire d’utilité mémorielle et réflexive : Que veut dire, pour un blanc, d’avoir eu besoin de l’esclavage pour prospérer ? D’avoir fait de son frère un objet ? De ressentir aujourd’hui pour lui effroi et haine, comme s’il demeurait en lui le souvenir des exactions fondatrices ?
Bien au-delà de la leçon d’Histoire (toujours, bien entendu, nécessaire), I am not your Negro se déploie comme un journal intime dont la voix singulière pourrait être celle d’une nation meurtrie, acceptant, avec une sagesse douloureuse, de poser les mots à la forme interrogative.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Documentaire, Les meilleurs documentaires, Les meilleurs documentaires historiques, Vu en 2020 et Les meilleurs films sur la discrimination
Créée
le 18 nov. 2020
Critique lue 833 fois
48 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur I Am Not Your Negro
Les grands penseurs se reconnaissent dans la propension qu’ont leurs idées à dépasser l’époque qui les a vu naître. En écho avec notre temps, ils l’éclairent d’un jour nouveau ; tristement...
le 18 nov. 2020
48 j'aime
1
Voilà déjà six mois que les années Obama sont finies et on ne compte pas un jour sans que la sphère médiatique ne regrette son départ, malgré huit ans de mandat en demi-teinte. Cependant son élection...
le 21 mai 2017
16 j'aime
13
Voilà un film qui n'est pas facile d'accès. Il ne constitue pas à proprement parler un tableau du racisme aux USA (comme je l'imaginais un peu benoîtement en ayant survolé la presse), mais un voyage...
Par
le 15 mai 2017
14 j'aime
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
618 j'aime
53