S’il est bien un film avec Jim Carrey, I Love You Phillip Morris – comme nombre d’œuvres dans lesquelles a joué l’acteur – est avant toute chose un film sur Jim Carrey, sur son recours à la fiction pour échapper au réel et se raconter dans la peau d’un autre, pour raconter une personnalité qui dit quelque chose de la sienne en réagissant avec elle. Pas de déguisements au sens propre ici, mais la thématique du mensonge s’avère omniprésente et détruit en partie la relation de confiance qui unissait Steven Russell audit Phillip Morris.
Toutefois, mentir ne constitue jamais un caprice de la part du personnage mais définit son rapport au monde et aux choses ; Steven ne sait faire autrement et réussit alors à convertir, tel un alchimiste, le faux généralisé en véritable amour qui use des artifices, des pirouettes et des résurrections pour renouveler les preuves d’une passion hors de la monotonie habituelle. Dans le costume d’un avocat, Steven est avocat ; dans celui de l’homo parodique avec pantalon blanc, mocassins et petit chien, il est cet homosexuel et revivifie aussitôt le cliché en lui donnant épaisseur et personnalité.
Pour autant, ce jeu de rôles, dévalué par ses pairs et par son amant, occasionne une crise interne qui ressemble à un dilemme duquel le héros tragique ne peut s’extraire : comment, en effet, « être le vrai moi, vivre à ma manière » quand ce moi s’avère pluriel ? De façon plus vertigineuse encore, Steven reconnaît en prison qu’il n’est qu’une pure création et qu’en qualité d’être de fiction, il ne dispose d’aucune existence véritable – constat partagé par les avatars de Jim Carrey que sont Tony Clifton dans Man on the Moon (Miloš Forman, 2000) ou Truman Burbank dans The Truman Show (Peter Weir, 1998) : « comment quelqu’un qui n’existe pas peut-il continuer à exister ? ».
Le long métrage épouse en structure narrative cette course au mensonge, les retournements de situation correspondant à l’éclatement de la bulle fictionnelle dans laquelle vivait Steven jusqu’à la formation d’une nouvelle ; son esthétique soignée, forte d’une photographie somptueuse, nous donne l’impression d’assister à un rêve éveillé, de la même manière que le jeune garçon contemple les nuages et y voit phallus et testicules.
L’irrévérence de ton, l’audace de plans et de scènes qui mirent en péril la carrière de Jim Carrey – c’est du moins l’aveu qu’il en fait dans ses Mémoires flous publiés récemment –, le thème musical mémorable que signe Nick Urata, l’alchimie à l’écran des deux comédiens principaux, excellents au demeurant, tout cela érige I Love You Phillip Morris au rang des meilleures comédies de ces dernières années.