Adaptation d'un roman de Stanisław Lem, le long métrage tchécoslovaque Ikarie XB-1, d'après Le nuage Magellan (Obłok Magellana), est un film unique dans la production science-fictionnelle des années 60. Pouvait-il en être autrement, pourrait-on ajouter de manière triviale en guise d'avant-propos ? Pourtant rien n'indiquait au départ une telle singularité, à l'instar de la première adaptation de Lem, L'Étoile du silence (Der schweigende Stern), d'après Astronauci (1951) et mise en scène trois années plus tôt en 1960 par l'est-allemand Kurt Maetzigpar, qui fut sévèrement critiquée par l'écrivain polonais. Or si le futur auteur de Solaris fut, sauf l'exception nommée Przekładaniec (1968) et signée par son compatriote Andrzej Wajda, connu pour ses positions intransigeantes vis à vis de ses histoires transposées, admettons que Ikarie XB 1 a le mérite de se démarquer du caractère naïf (et propagandiste) qui prédominait à l'époque des deux côtés de l'Atlantique en matière de science-fiction. A considérer à juste titre comme l'un des premiers films adultes de SF. Rien de moins.
2163, le vaisseau spatial Ikarie XB-1 et son équipage international constitué de quarante scientifiques ont pour mission de découvrir des traces de vies dans le système de l'étoile Alpha du Centaure. Tandis que la vie de cette petite ville spatiale s'organise, l'équipage croise le chemin d'un autre vaisseau spatial d'apparence primitive : une ancienne fusée terrienne. Deux cosmonautes y sont dépêchés et découvrent à bord des membres à l'apparence endormie, empoisonnés par un gaz toxique datant de la fin du XXème siècle. Mais les deux hommes périssent en déclenchant accidentellement l'explosion d'un des nombreux missiles nucléaires dont la navette est équipée. Peu de temps après, l'équipage se voit exposer au rayonnement mystérieux d'une étoile noire qui cause la somnolence de la plupart des membres, les deux membres ayant été directement exposé aux radiations à l'extérieur du vaisseau souffre quant à eux de graves troubles mentaux.
Loin des aventures et autres fantaisies spatiales qui firent florès la décennie précédente avec en point de mire La planète interdite de Fred M. Wilcox en 1956 (encore que l'archaïque robot nommé Patrick est un clin d’œil direct à Robby), et en attendant bien évidemment le renouveau du space opera en 1977, Ikarie XB-1 s'inscrit, on l'aura compris, plus du côté d'une science-fiction sérieuse, en se gardant bien de s'écarter toutefois de l'optimisme ambiant qui entourait la conquête de l'espace (le premier vol de Youri Gargarine date de 1961). Mieux, non content d'être un des premiers films à décrire le concept d'hyperespace inspiré de la relativité générale (le voyage de l'équipage dure vingt-huit mois tandis que sur Terre il se sera écoulé quinze ans), le film explore un autre volet original, celui de la vie quotidienne des cosmonautes. Proche du documentaire, la première partie d'Ikarie XB-1 décrit ainsi les diverses activités de ces hommes du XXIIème siècle : de la douche, au repas, en passant par la gymnastique et une fête d'anniversaire en sus, aux questionnements les plus intimes : la place de l'amour, la gestion d'une grossesse à bord, ou encore ceux liés au retour des membres et les relations avec leurs proches confrontées aux conséquences de la dilatation spatio-temporelle.
Film tchécoslovaque, réalisé dans un pays satellite de l'URSS, Ikarie XB-1 aurait très bien pu être produit à des fins propagandistes, à l'instar des nombreuses séries B étasuniennes des années 50, quand la menace rouge prenait la forme d'invasions extraterrestres. Relative indépendance des producteurs ou du réalisateur, qu'importe, le long métrage évite soigneusement de bercer trop près de ce côté pour mieux privilégier une vision humanisme et pacifiste d'une micro-société harmonieuse, certes proche d'une vision romantique du communisme, mais sans charger davantage l'idéologie prédominante, l'équipage cosmopolite et leur environnement évoquant finalement la future série Star Trek. Seule véritable référence au capitalisme, les jeux d'argent, dernier passe-temps des occupants retrouvés morts dans la navette perdue dans le système solaire d'Alpha du Centaure. Une image à pondérer tant il apparait, comme le fait remarquer un membre d'Ikarie, que ce vaisseau fantôme et ses armes mortelles se veulent surtout une allégorie des horreurs du XXème siècle, et de ces hommes «responsables d'Auschwitz, Oradour et Hiroshima ».
Comme le laisse entrevoir le résumé précédent, la dernière partie du film quitte l'aspect semi-documentaire du début pour plonger dans la pure fiction et l'apparition de cette mystérieuse étoile noire radiative. Ikarie XB-1 connut une adaptation américaine l'année suivante, retitrée Voyage to the End of the Universe, avec en particulier une dizaine de minutes et une fin différente. Bien qu'amputée, cette version n'en demeura pas moins, on peut le supposer très fortement compte tenu du nombres d'indices troublants, une formidable source d'inspiration pour futurs réalisateurs, ou metteurs scène intéressés par la SF, nés de l'autre côté du rideau de fer : Ridley Scott et Alien, James Cameron et Abyss, ou encore rien de moins que Stanley Kubrick et 2001 : L'odyssée de l'espace, tous durent puiser à des degrés divers des éléments issus du métrage.
Doté d'effets spéciaux minimalistes, trahissant un budget forcément limité, Ikarie XB-1 compense ses imperfections par le soin apporté au design (intérieur de la navette ou la combinaison spatiale), au cadrage et sa photographie, à sa musique, et bien sûr un scénario subtil où l'humain se révèle être plus important que la technologie.
A découvrir.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2015/07/ikarie-xb-1-jindrich-polak-1963.html