La fiction d'un pays réel!
«C'est l'histoire d'un pays qui n'existe plus, sauf au cinéma», qui nous est racontée dans le film documentaire qui d'écrit la fiction d'un pays-studio, et raconte sa version de l'histoire de la Yougoslavie. Il s'agit du film de Mila Turajlic, sorti en salle en France à l'automne 2013 et qui vient d'être édité en DVD, Il était une fois en Yougoslavie cinéma Komunisto.
Héros de la victoire contre les troupes nazis, voulant marquer ses distances envers le Parti frère de l'Union Soviétique et prendre de l'autonomie avec Staline, le chef Yougoslave Josip Broz Tito, devenu Maréchal à la tête du Conseil Anti-fasciste de Libération Nationale, fonde la République Fédérative populaire de Yougoslavie. Intéressé par le cinéma, sachant sa possible influence sur les masses populaires et surtout les bénéfices qu'il peut en tirer, Tito va décider le développement de l'industrie cinématographique qui sera un exemple dans les Balkans. A Belgrade seront construits les importants studios, Avala (les seconds d'Europe après Cinecitta). Des grands noms du cinéma hollywoodien Orson Wells, Richard Burton, Yul Brynner mais aussi Alain Delon y joueront.
C'est autour de cette histoire que ce film est construit, l'importance du cinéma dans le récit d'un chef qui regarde tous les jours un film et embauche un projectionniste personnel Leka Konstantinovic qui pendant trente-deux ans lui présentera, d'après ses comptes, environ huit mil films. Lui et d'autres protagonistes du cinéma de l'époque vont nous guider au milieu de matériaux laissés à l'abandon, des bobines, des costumes, des nombreux objets, dont des armes, qui ont servi dans les années fastes des studios Avala.
Les propos et les présentations sont entrecoupés par beaucoup d'extraits des films du "régime", ceux qui ont été retenus comme significatifs de la parole et de la ligne du parti (qu'on appellerai aujourd'hui du "politiquement correct").
Des longues séquences nous font découvrir les projets des films à la gloire des partisans et résistants de la guerre de 39-45, qui est en quelque sorte le socle fondateur du pouvoir titiste. Il y a la Bataille de la Neretva, (1969) qui retrace la résistance à l'invasion allemande par les partisans sous les ordres de Tito. super production avec Yul Brynner et Orson Wlles, Et également La Cinquième Offensive, 1973, la violente offensive allemande et italienne qui, malgré des pertes importantes n'a pas réussi à éliminer la résistance ni à arrêter Tito, qui était un des objectifs. Il a tout de même été blessé et, pour la réalisation de ce coûteux film, c'est Tito lui même qui a choisi Richard Burton, pour interpréter son propre rôle.
La jeune réalisatrice Mila Turajlic, n'a pas voulu faire un film sur l'histoire du cinéma Yougoslave mais nous montrer comment s'est construit le mythe de Tito à travers le cinéma. Et sa démonstration est brillante, avec un travail de recherche et de montage minutieux et précieux pour la compréhension de sa démarche et du déroulement du «récit officiel». On lui reproche parfois de na pas évoquer le mouvement d'opposition cinématographique «vague noire» des années 60, dont le très beau film J'ai même rencontré des tsiganes heureux (de Aleksandar Petrović, sorti en 1967). Pour Mila Turajlic, ce dont elle a souhaité témoigner et nous transmettre c'est la force de la « voix de son maître», un dictateur qui lisait les scénarios, imposait ses choix, déterminait les bons ou mauvais rôles. Certes, il y avait aussi un calcul économique pour le pays et la ruée vers Belgrade des stars de Hollywood était aussi une entrée de divises.
Par quelques touches le film nous rappelle le soutien de nombreuses personnalités du cinéma, qui tissent des éloges au socialisme à «visage humain», tout en se régalant comme Elisabeth Taylor, au bras du camarade-président à vie, dans les îles de rêve de Brijuni. Petit archipel privé de Tito pour lui et ses invités de marque. Et on comprend que cette fédération se soit ébranlée si vite et avec une telle violence, dont la fiction-titista avait cherché à instaurer mais qui n'a pas résistée à sa disparition.
Et si certaines similitudes avec le cinéma d'aujourd'hui pourraient être évoquées, outre la présence et le tournage de Depardieu en Tchétchénie (et ses éloges au fils-président), on peut se demander si le système institué en Occident et en France, du pouvoir de l'argent pour produire et distribuer des films n'est pas, en quelque sorte, une autre façon d'ordonner le cinéma "officiel", grand public dont Tito a su utiliser les ressorts. On peut aussi questionner l'influence réelle du cinéma. Que reste-t-il du cinéma qu'il a inspiré, commandé, produit (sans nom au générique)?
Son film a obtenu un bon nombre de récompenses et souhaitons que la sortie du DVD apportera à Mila Turajlic des moyens pour poursuivre son travail au cinéma qui me paraît mériter toute notre sympathie.
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/080914/cinema-komunisto