Il OU ELLE (13) (Anahita Ghazvinizadeh, USA/QAT, 2017, 80min) :


Il ou elle se vit comme une délicate ballade cinématographique en immersion dans les questionnements intimes de J., une jeune personne de 14 ans vivant avec ses parents dans la banlieue de Chicago et qui suit depuis deux ans un traitement médical pour suspendre l'évolution de sa puberté.


Pour son premier long métrage la réalisatrice iranienne Anahita Ghazvinizadeh (ancienne étudiante des ateliers du cinéaste Abbas Kiarostami), s'intéresse à l'adolescence, le théâtre familial et l'identité de genre, des thèmes de prédilection déjà explorés lors d'une trilogie de court-métrages explorant l'univers de l'enfance, notamment Needle (2013) récompensé par le premier prix de la Cinéfondation, présidée par Jane Campion lors du Festival de Cannes 2013.


Un arbre couché dont une branche forme un arc de cercle jusqu'au sol de la forêt et un chat immobile en position d'attente. Premières images naturalistes d'un long métrage augurant un espace-temps en suspension. La suite nous plonge avec mystère dans l'intrigue à travers des partis pris esthétiques étonnants, ou le flou et la nature se mêlent, se complètent ou s'associent. Cette mise en scène sensitive puzzle privilégie les ressentis aux explications en immergeant le spectateur aux côtés du jeune protagoniste dans cette période de suspension entre l'enfance et l'âge adulte, dans la quête de « They » un neutre pluriel définissant « ils », il ou elle pour évoquer J. qui vit dans une limbe, dans une phase d'entre-deux, une quête du soi et de son identité sexuelle.


La réalisatrice influencée par son maître Abbas Kiarostami, livre un film personnel, où la narration comme l'image flotte pour raconter le temps d'un week-end, la visite de la grande sœur avec son ami iranien, venu s'occuper de J. alors que les parents se sont absentés. Pendant ce week-end, les trois personnages vont se questionner sur leur place dans la vie et sont tous comme en transit avant de pouvoir définir leur avenir. Lauren la grande sœur hésite professionnellement, son concubin s'interroge sur sa place en tant qu'iranien immigré aux Etats-Unis, et J. s'éprouve sur son choix identitaire angoissant qui trouve régulièrement refuge dans la poésie pour apaiser ses maux. Malheureusement à vouloir embrasser trop de thématiques, le récit digresse lors de scènes trop longue (le déjeuner chez la famille iranienne) et perd ainsi au cours du film le tronc principal de de la transidentité, sujet au potentiel dramaturgique intense dont elle n’approfondit pas assez la réflexion. Sa mise en scène favorise les superbes plans poétiques et oniriques soulignant malencontreusement son scénario par des plans symboliques redondants trop illustratifs et une musique au xylophone un poil agaçante.


Loin d'en faire un discours démonstratif, la cinéaste opte pour la bienveillance où les silences, les regards, la pertinence du hors-champ et les ellipses pour mieux mettre en lumière la réflexion de J. pendant ce week-end, confrontant son rapport au monde qui l'entoure. Ainsi pendant ces quelques jours son cheminement intérieur va évoluer notamment au fil des conversations avec sa sœur, avant l'entretien décisif à la clinique avec un membre du corps médical, afin de déterminer s'il est prêt où non à prendre des hormones pour définir sa future identité sexuelle. Un long métrage initiatique évoquant Sweetie (1989) et Un ange à ma table (1990) de Jane Campion et plus récemment Tomboy (2011) de Céline Sciamma, dont la caméra filme avec délicatesse l'errance de J., interprété avec naturel par le jeune Rhys Fehrenbacher (étant dans la vie privée confronté aux mêmes questionnements intérieurs que son personnage), bien épaulé par le reste du casting assez convaincant.


Venez accompagner J. dans son parcours intime à travers ce périlleux film essentiel, bien inscrit dans l'air du temps, qui malgré ses défauts offre un nouveau regard subtil sur ces nombreuses personnes en souffrance psychologiques et physiques et permet de découvrir une réalisatrice prometteuse à travers ce portrait de Il ou elle. Métaphorique. Inégal. Fragile.

seb2046
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le 31 août 2018

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