Quiconque a déjà ouvert une bande dessinée signée Enki Bilal sait que ce grand monsieur du 9ème art est adepte des intrigues de science-fiction sacrément perchées, souvent couplées à une satyre politique et sociétale acérée.
Du coup, quand le scénariste et dessinateur entreprend d'adapter (librement) sa formidable "Trilogie Nikopol" au cinéma, il y a de quoi être intrigué, d'autant plus que financer un film français DE GENRE est loin d'être évident.
Alors, qu'est-ce qu'il ressort de ce projet improbable et un peu fou ?
C'est bancal, improbable, hésitant, souvent douteux visuellement...et pourtant...
Pourtant, force est de constater qu' "Immortel ad vitam" impose une ambiance unique, sans concession aucune. Bilal ne se compromet jamais et signe une oeuvre d'une impressionnante intégrité artistique.
L'utilisation de la lumière, des couleurs chères au dessinateur (gris, bleu, rouge), cette atmosphère à la fois oppressante et lancinante ("Ghost in the Shell" n'est jamais très loin): La sensibilité de Billa transpire de chacun de ses plans.
Et en parlant de plans, notre réalisateur en herbe s'approprie maladroitement la grammaire cinématographique, ce qui contribue à dérouter le spectateur (les zooms et de-zooms brutaux, notamment). Ces errances couplées à des effets visuels...limités (le studio français "Quantic Dreams" a pris en charge le versant numérique), qu'on penserait parfois sortis d'une scène cinématique de Playstation 2, nous offrent de purs moments WTF, parfois réussis (les dieux Égyptiens qui dégagent un véritable malaise, malgré leur aspect de pixels géants à poil), mais qui attaquent aussi parfois la rétine (les humains modifiés, générés numériquement, qui jurent totalement à côté des acteurs réels).
Imagerie fascinante, visuels souvent assez laids, et qu'en est-il de la narration?
Bilal a fait le choix de "synthétiser" les deux premiers tomes de sa trilogie ("La foire aux immortels", "La femme piège"), en changeant d'ère géographique (New-York remplace Paris), le passé de certains personnages (Jill qui est ici une sorte de "réfugiée extra-terrestre", contre une journaliste désabusée, dans la BD. John, à peine développé dans l'oeuvre original, ici porteur d'une belle et profonde mélancolie). Et tout ça se combine plutôt bien, au final.
Le problème, c'est qu'il est plus difficile de faire totalement fi des normes de narration dans une oeuvre cinématographique que dans la bande dessinée. Du coup, l'intrigue devient plus classique à plusieurs moments (les inévitables courses-poursuites, une romance bien trop vite expédiée pour être crédible, la médecin qui se prend d'affection pour son cobaye...).
Au niveau du sous-texte politique, Bilal dénonce, comme dans la BD, l'autoritarisme, la propagande, la marginalisation sociale. Il y ajoute ici un petit volet trans-humaniste pas franchement utile ni très intéressant. Les références à d'autres œuvres de dystopie telles que "Blade Runner" ou même "Equilibium" (pour la grise froideur des environnements) sont bienvenues, et permettent de développer certains aspects de l'univers de Bilal tout en limitant, dans le même temps, l'imagination du spectateur qui s'était imaginé sa propre "Trilogie Nikopol" à partir des traits si particuliers de l'auteur.
Le rythme lancinant bascule parfois du côté de l'ennui, et seule la curiosité du spectateur pour cet univers étrange l'empêche de s'assoupir à certains moments.
Fascinant, ennuyeux, glauque, d'un goût douteux, "Immortel ad vitam" est une expérience unique que j'encourage grandement à vivre (à réserver tout de même au connaisseurs de la bande dessinée avant tout).