Pour peu qu’on s’intéresse aux noms de réalisateurs, il est difficile de prononcer celui de Jason Reitman sans penser à son père Ivan. Mettre en parallèle leurs filmographies respectives est une autre histoire. Jason a beau n’être qu’au stade d’une carrière naissante, il affiche clairement une personnalité et une ambition qui le font se démarquer de l’ombre paternelle, même si cette dernière se fait à la fois lointaine et pas si grande que ça. "In the air", son troisième long-métrage, fait suite à "Thank you for smoking", brûlot anti-tabac dont le cynisme n’a rien à envier à un "Lord of war", et "Juno", teen-movie sympathique bien que grandement surestimé. A eux trois, ils ont propulsé Reitman dans les limbes de ce que les critiques américains appellent les « espoirs du cinéma U.S. » Et il faut reconnaître qu’ils sont loin d’avoir tort. A chaque film, un genre, un style, un univers différent. Et surtout un savoir-faire empreint de maturité qui mêle simplicité visuelle, sens de l'observation et de la direction d'acteurs et maîtrise rythmique. Une force tranquille qui manque trop souvent aux jeunes metteurs en scène en quête de notoriété.
"In the air", chose assez exceptionnelle, attire l’œil avant même la vision d’une quelconque bande-annonce : rien que l’affiche, qui montre George Clooney dans un aéroport assis entre les deux personnages principaux féminins, pose les bases d’un univers singulier, donne envie d’en savoir plus sur les histoires respectives de tout ce petit monde et surtout l’envie de s’envoler avec eux. Et une fois le voyage commencé, il n’y a plus qu’à s’en délecter. Car le film s’avère d’une densité à la fois scénaristique et émotionnelle qui vaut le déplacement et rend son classement dans le rayon « comédie » presque réducteur. Clooney y trouve, comme cela a été copieusement souligné par la presse, un des meilleurs rôles de sa carrière. Mais là où les journalistes entendent « un de ceux qui le mettent le mieux en valeur », il s’agit surtout d’un des plus intéressants. Il y a, premièrement, le travail de Ryan Bringham, qui consiste à dégraisser le plus « humainement » possible les entreprises et qui, mis à part un côté cocasse de prime abord, s’avère être un point de vue redoutablement efficace sur la cruauté d’un processus maintes fois montré sur grand et petit écrans, mais d’une manière souvent trop frontale, lourde et didactique. Il y a, ensuite, sa vie privée, quasiment inexistante, et symboliquement représentée ici par un appartement envahi par le blanc de ses murs. Bingham fait absolument tout pour s’affranchir du poids que peuvent représenter les responsabilités qui découlent du relationnel (c’est d’ailleurs le sujet des conférences qu’il donne) et ne pouvait visiblement trouver mieux que de littéralement « vivre au dessus » de ses semblables, blotti au creux du siège d’un avion, entre deux destinations, et se contentant pleinement de ces « relations à usage unique » qui amusaient tant le narrateur de "Fight Club" incarné par Edward Norton. Bien entendu, l’histoire tend à faire évoluer la mentalité du personnage au cours des deux heures de film, notamment par le biais de Natalie Keener (Anna Kendrick) qui, du haut de ses 23 ans, n’aspire qu’à la vie à deux, au partage, à l’engagement, bref, à l’amour avec un grand A. Une vision d’abord perçue comme un rien naïve par Ryan et Alex (Vera Farmiga), sa « partenaire occasionnelle » qu’il s’arrange pour croiser entre deux vols, et qui donne matière à une mémorable conversation générationnelle entre les trois personnages au sujet des attentes amoureuses. Mais Bingham sera bien obligé de reconnaître, cette fois lors du mariage de sa sœur, que les relations ne sont rien d’autre que l’essence même de la vie. Lorsqu’il se retrouve à convaincre son futur beau frère, hésitant, de se lancer, il finit surtout de se convaincre lui-même qu’il est temps de changer (d’où cette phrase d’accroche : « the story of a man ready to make a connection », traduite en France de façon ridicule par « l’histoire d’un homme en correspondance »). Et pour le spectateur de voir arriver le happy end ? Pas si vite. Car c’est bien là une des preuves de l’habileté de Reitman qui, en plus de la densité dont je parlais plus haut, fait une bonne partie de l’intérêt du film et lui permet de vous atteindre en plein cœur pour ne plus vous lâcher une fois sorti de la salle. Non seulement l’histoire connaît, dans sa dernière partie, un revirement que Reitman sait rendre parfaitement inattendu mais elle se clôt d’une façon mitigée, ce qui aurait pu – ou dû – constituer une fin heureuse ne l’étant plus tout à fait, du fait du parcours psychologique qu’a effectué le personnage et de l’évolution de ses attentes vis-à-vis de l’existence.
"In the air" s’avère donc pour le moins recommandable, parfait compromis entre le glamour hollywoodien et l’exigence thématique et scénaristique de projets moins fortunés. En somme, ce qu'on peut appeler un "divertissement sensible et intelligent" dont il serait dommage de se priver.