Tout en n'étant absolument pas un admirateur de Nolan, bien au contraire, j'attendais avec certaine fébrilité cet Interstellar. Attente teintée d'espoir et de craintes. Ha.... l'espoir frileux et fragile de retrouver un film de haute science-fiction, de celle qui, ambitieuse, fait rêver, se déploie avec élégance et nous offre le fameux mais délicat 'sense of wonder'. De la SF qui, aussi, ose également poser des questions, de celles qui tout en parlant d'étoiles lointaines et de fusées nous sont (déjà) essentielles.
Ha ça ! pour sûr, on ne peut pas nier que tout ça Interstellar le cherche, le tente, l'effleure même. On ne peut nier que c'est de la vraie science-fiction – non pas un prétexte à autre chose – et même tendance Hard-Fiction. Que cela fait du bien de retrouver un espace noir, vide et silencieux quand la tendance semble être à l'encombrement en tout genre, où l'espace semble n'être plus qu'une nébuleuse Pet-de-Licorne saturée de débris et d'astéroïdes. Dans l'espace, à nouveau, on ne nous entend plus crier.
Interstellar est donc ambitieux, est cohérent avec lui-même. Interstellar brasse de grands thèmes, de grandes distances, des années et des années-lumières et, de surcroît, Nolan à aucun moment ne cherche à "faire son 2001", à tomber dans le pastiche déguisé en hommage à Kubrick. C'est d'avantage du côté de Zimmer qu'il faudra se tourner dont la musique qui, comme d'habitude omniprésente, n'est qu'une longue nappe passant son temps à tenter de réfréner ses accents 2001.
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Mais Nolan nolise et Interstellar est un peu Inception dans l'espace, avec les mêmes défauts et les mêmes qualités. Les personnages ne font que parler pour dire ce qu'ils ressentent, ce qu'ils pensent, ce qu'ils vont faire, ce qu'ils voudraient faire, ce qu'ils font et, à côté, n'existent absolument pas. Sauf peut-être Cooper et uniquement grâce à Matthew McConaughey (revenu de Contact, True Detective, etc. on connait la chanson), qui tient en très grande partie le film à lui tout seul tandis que Anne Hathaway, ce crapaud globuleux, est toujours aussi insupportable. Matt Damon, après l'étique Elysium et qui commence à devenir le sosie de Philip Seymour Hoffman, a le droit à la partie la plus ennuyeuse du film. (et la seconde plus prévisible)
On a donc, comme dans Inception, de très longues scènes d'exposition où l'on nous ressort des théories : scientifiques, technologiques, sociologiques et, Nolan oblige, sentimentales. Ne liraient-ils pas le script là ? Comme dans Inception, l'amour, celui avec un grand A, ne semble qu'être qu'une formule de plus, un nom vide quand il voudrait relier théorie des Cordes et théorie des cœurs, en faire une force primordiale, le moteur principal de toute cette machinerie cosmique.
Et de la même façon, tout comme il rangeait les rêves en immeubles bien ordonnés, il range ici l'espace-temps en jolies petites cases (hello Cube² et son Kubrick's cube). A se demander s'il trouve vraiment tout cela, l'amour, la famille, réellement romantique ou s'il a juste des TOC. D'un coup, le Joker et Bane, chantres du chaos et du désordre n'étonnent plus.
Même problèmes de rythme où la fin n'en finit pas, où les scène s'éternisent et agacent à n'en plus finir quand elles devraient être des points névralgiques du film. Surtout que dès lors que l'on a vu quelques épisodes de Doctor Who, de Stargate ou même de Futurama sans même parler des nouvelles et romans... on renifle très rapidement l'astuce, le "truc" – dès les premières minutes – (moi qui avait pourtant fait blocus sur les trailers et les retours...) et l'on se dit que le dernier quart, celui qui lèvera le rideau et opèrera le renversement en montage alterné, sera franchement pénible, douloureux ; ce qui ne loupe absolument pas.
La conséquence de tout ça c'est que même en parlant de trous de ver, de trous noirs, même avec d'amples images du petit vaisseaux tout blanc perdu dans les anneaux de Saturne et de notre petit Univers replié sur lui-même comme dans une gravure d'Escher, même en criant Amour et Sacrifice manquent tant le sense of wonder que le questionnement pertinent. On a ici un film non pas rigoureux et austère mais carrément désossé, décharné, efflanqué. De la SF rigoureuse pour un film laborieux.
En fait Interstellar fait surtout penser au roman Temps de Stephen Baxter. On y retrouve grosso modo la même intrigue d'aller explorer un étrange signal venant de l'espace tandis que notre chère Humanité court à sa propre perte. On y retrouve aussi à peu près les mêmes conclusions, les mêmes twists basés sur les mêmes théories, le même vertige cosmologique (quoique poussé bien plus loin), les mêmes personnages inexistants qui nous parlent d'amour, de sacrifice sans sembler le moins du monde humains ; le même manque de chair et d'investissement pour des enjeux similaires.
"Do not go gentle into that good night..."
Il faudrait alors plutôt relire la nouvelle de Greg Egan La Plongée de Planck du recueil Radieux ou à tout le moins l'éclairante critique de Kiblan qui, justement, avec un synopsis similaire parvient à nous déstabiliser réellement, à nous mettre face à nos propres limites à la fois en tant que lecteurs qu'en tant qu'humains, nous mettre face au trou noir et plonger sans savoir nager ni même faire la planck, oui, plonger, réellement au cœur des ténèbres
[et maintenant c'est au tour de Refn, semble-t-il, de se frotter à la SF et de faire son 2001.]