"You have to think bigger than that"
Ainsi je me permets de retourner une des répliques du film à son réalisateur. Abrupte, provocateur, voire condescendant ce titre est d'autant plus violent que j'apprécie beaucoup le cinéma de Nolan. Pour preuve de ma bonne foi Memento & Inception figurent dans mon top 10.
Alors pourquoi tant de désillusions?
(Alert: Spoilers Inside)
Il est vrai que j'appréhendais ce film, car il était annoncé en rupture avec les œuvres précédentes de Nolan. D'ailleurs la bande annonce laissait entrevoir le poncif du paternel dévoué à sa famille, loin des personnages singuliers des précédentes œuvres du réalisateur anglais. Et ce poncif est bel et bien présent tout au long du film mais parlons d'abord du scénario.
Le scénario d'un Nolan c'est un peu comme la bizarrerie d'un Lynch, la perversité d'un Almodovar, le nombre de "fuck" d'un Scorsese ou la musique d'un Kubrick, c'est indissociable de son cinéma. Et c'est la première fois où je suis déçu de celui-ci. Ainsi, les mystérieux messages du "fantôme" posent problème. L'idée est bonne mais merde quoi. Quand Murph décode le mot "Stay" et qu'on connait un peu Nolan on devine assez facilement la suite. Nolan aurait du rester plus ambigu sur ces phénomènes. A cela s'ajoutent les interviews castratrices de l'intrigue. C'est tout de même déconcertant de sa part qu'il nous livre autant d'indices sur le déroulement du film dès les premières minutes.
Prochain arrêt le moment où les astronautes doivent choisir quelle planète explorer en premier. J'ai trouvé tellement rabaissant vis à vis des prétentions du film le fait de nous servir le coup de la scientifique brillante dont le jugement est altéré par une relation amoureuse. Rien de très interstellaire là-dedans.
Passons ensuite au retour de la planète recouverte d'eau. J'ai adoré le passage où Cooper découvre ce que sont devenus ses enfants. Entre le jeu de McConaughey et les images du temps qui passe à folle allure, implacable et impitoyable, cette scène est une plongée saisissante au cœur de la théorie de la relativité. Mais elle se révèle être plus que cela. Les images de l'évolution de la famille de Cooper sont en fait le compte à rebours de l'humanité porté à l'écran. C'est seulement mon second moment de frisson du film. Juste avant ma plus grande déception scénaristique de ce dernier. La fameuse planète du Dr. Mann.
C'est du Nolan tout craché ça. Rajouter en plus de tout le cahier de charge du film de SF à influence "Kubrickienne" le coté thriller avec ce personnage malveillant, cruel, qui pour sa survie est prêt à manipuler et à tuer dans de pénibles souffrances des innocents. A ce moment j'ai été déçu de retrouver du Nolan. Pour moi c'était un retour sur Terre immédiat. Je trouve qu'avec tous les éléments d'intrigue qui s'ouvrent à ce genre de film, Nolan aurait pu éviter de nous sortir ce scénario déjà vu du type qui veut sauver sa peau à tout prix, pas besoin de se rendre sur une planète à des années lumières pour cela.
Pour en finir avec le scénario je vais quand même évoquer la scène dans le Tesseract. Alors bon là on entre dans de la pure fiction d'accord, mais Nolan aurait pu nous épargner le coup de l'amour paternel qui transcende le temps, les distances et qui se révèle être le sauveur de l'humanité. Nolan qu'est ce qui te prend? Dans ses œuvres précédentes l'amour hante de façon tragique ses personnages, les poussant à la folie, voire au meurtre. Je n'ai vraiment pas reconnu Nolan dans cette approche. Après, le deus ex machina bienheureux avec l’équation résolue suite à la transmission des données nouvelles du trou noir, osé mais pourquoi pas. La remise en cause du principe de causalité qui m'est cher, je trouve ça nébuleux, mais là aussi pourquoi pas. C'est de la fiction après tout. Le final a le mérite d'être original au contraire d'une partie du scénario.
Parlons de la réalisation à présent. J'ai adoré une des scènes d'ouverture du film où Cooper poursuit un drone à travers les champs. Mon premier frisson du film, le tout accompagné de la musique de Hans Zimmer. Musique qui se fera bien plus discrète que ne le laissait envisager la dénomination ambitieuse de "space-opera". C'est à la fois simple, efficace et émouvant. Comme j'aurais voulu que la suite du long-métrage soit dans la lignée de cette scène.
On sait que Nolan n'aime pas tourner sur fond vert et qu'il a préféré fabriquer le vaisseau et les robots. Les images des vaisseaux sont sympathiques, les robots en revanche font vraiment tâche dans cet environnement technologique de pointe. Certains y verront une référence au monolithe de l'Odyssée de Kubrick, toujours est il que leur design est simpliste et peu inspiré.
Évoquons à présent les images de l'espace qui sont vraiment belles, uniques, mais qui sont bien trop rares à mon goût ! Beaucoup de gros plans sur les acteurs dans les vaisseaux, peu de plans larges. C'est un manque pour la beauté des yeux et puis cela produit un manque de repères pour le spectateur. Là encore la volonté de mettre toujours l'humain au premier plan, l'espace en retrait, refrène, je trouve, l'immersion du spectateur dans cette conquête spatiale interstellaire.
Autre point noir, les grimages des acteurs pour signifier leur vieillissement. Le vieillissement de l'astronaute resté à bord de la station spatiale, Romilly, n'est pas assez crédible, le problème est le même avec le professeur Brand, interprété par ce cher Michael Caine. Pour un film où le temps et ses effets sont primordiaux, j'ai trouvé que ces derniers n'étaient pas assez marqués.
Un autre hic qui m'a empêché de prendre mon pied durant l'exploration de la planète recouverte d'eau c'est la réalisation simpliste de la vague gigantesque qui est censée s'abattre sur le vaisseau et qui finalement le fait tout juste tanguer. La scène est aussi impressionnante que la scène du Loup de Wall Street où le yacht prend l'eau. Bref des approximations de réalisation, et des choix qui m'ont déplu.
Pour ce qui est des personnages là encore je suis mitigé. Le film qui pourtant se prétend "interstellaire" place l'humain au centre de son projet. Les personnages doivent donc être creusés et aboutis, leurs interactions saisissantes. Mais je n'ai pas trouvé que c'était le cas malheureusement. On a reproché à Nolan de ne pas faire assez dans l'humain dans ces précédentes réalisations. Cependant je trouve que pour un réalisateur maniaque du contrôle, aux scénarios alambiqués, il parvient tout de même à développer des relations intéressantes entre les personnages dans ces films.
Ici les 3 personnages les plus intéressants sont pour moi Murph, son frère Tom et le robot TARS. Murph est le personnage le plus creusé, porté par de bonnes interprétations. Curieuse, brillante, un tantinet séditieuse, si elle se trouve en colère contre son père en raison de son abandon elle finira par embrasser le même parcours que lui, preuve de leur ressemblance et de leur proximité: elle quitte le foyer familial et tout en gardant espoir de revoir son père va tenter de sauver l'humanité. Son frère, au contraire est plus posé, plus terre à terre. Il s'attache à garder sa ferme, ses terres, fonder une famille, et résigné à ne plus revoir son père il tentera farouchement de survivre. Le frère et la sœur font échos a la phrase de Cooper qui s'exprime avec fatalité sur les deux faces de l'humanité, l'une tournée vers le ciel avec ambition, l'autre tournée vers le sol résignée à attendre que son heure vienne.
Autre personnage intéressant, celui de TARS ou des robots dans leur ensemble. Ils ont ajouté une touche d'humour assez inhabituelle dans les œuvres de Nolan. Et c'est plutôt réussi je dois dire. Je pense que le public a fini par avoir une véritable empathie pour ces robots malgré leur apparence peu avenante.
Le personnage de Cooper est celui d'un redneck ancien pilote de la NASA qui partage son temps entre discours métaphysiques, blagues potaches, sa ferme... Et bien sûr sa famille. Alors de prime abord ce mélange est assez déconcertant. Surtout quand on souligne son attachement pour sa famille mais que dans le même temps il prend la décision de quitter ses enfants en quelques heures pour rejoindre une mission des plus périlleuses sans aucune garantie de pouvoir les revoir un jour. Je le trouve trop pétri de bons sentiments, trop "terrien", pour être crédible dans ce genre de conquête spatiale mais l’interprétation de McConaughey aidant j'ai fini par apprécier relativement ce personnage, même si je ne m'y suis jamais vraiment identifié.
Les autres personnages sont vraiment peu développés, simplistes, se cantonnant à leur rôle, à une ou deux répliques, voire, dans le cas du Dr. Brand, à quelques vers d'un poème déclamé tout au long du film. Amelia apparaît plutôt potache, superficielle et les autres astronautes sont absolument inexistants. Bien que les portraits humains soient souvent au second plan chez Nolan derrière les situations auxquelles ils sont confrontés, j'ai trouvé que c’était particulièrement vrai ici. Le protagoniste, peu mis en valeur, chante les louanges de l'humanité, notamment en opposition aux robots - remarquez ses performances de conduite manuelle - mais finalement il ne convainc pas dans ce rôle, il est une forme idéaliste et idéalisée de l'homme. C'est l'image fade d'un homme toujours sûr de lui, qui domine toutes les situations basculant trop facilement du rôle d'Indiana Jones à celui d'un homme ordinaire qui pleure à chaudes larmes devant les images de sa famille.
Voilà, j'aurais adoré me perdre dans des envolées lyriques et dithyrambiques comme certains. Mais je me dois d'admettre que mon siège n'a pas décollé ou trop peu lors de ma séance. Bien que le film affiche par moment beaucoup d'ambition, il persiste à dépeindre une humanité ordinaire plutôt qu'un univers spatiale exaltant.
Finalement je suis resté cloué au sol par ses prétentions qui n'ont pas été justifiées tout au long du film. Le style de Nolan n'aura pas toujours été reconnaissable, parfois trop prononcé, parfois pas assez, le résultat semble hybride. C'est une oeuvre à dimension humaine, parsemée d'erreurs mais que l'on finit par accepter. Quant à moi je vais faire un saut dans le passé cinématographique de Nolan, retrouver Memento ou encore Inception. Et pas besoin de trou noir pour cela.