Tandis que d’autres cinéastes parsèment leur récit de détails nourrissant un second niveau de lecture, donnant lieu à une autre perspective et une nouvelle compréhension de l’œuvre, Nolan préfère se concentrer sur son sens littéral et ce qui est perceptible au premier degré. Sans avoir de liens avec une symbolique quelconque inondant les forums de fans en mal d’interprétations, le film trouve un sens sans équivoque dans des ressorts dramatiques résultant d’un engendrement des catastrophes environnementales puis humaines, touchant notre affect et nos émotions. Un sentiment qu’on n’osait plus espérer chez le metteur en scène, parvenant à nous raccrocher à ce qui doit ériger nos vies, à savoir l’amour de la terre et celui que l’on porte aux êtres qui la composent.
Vêtu de sa panoplie de nouveau sauveur des blockbusters hollywoodiens à tendance cérébrale, et passé maître dans la fausse démesure narrative, Christopher Nolan n’a rien perdu du caractère singulier qui façonne son œuvre depuis Following, sa première réalisation sortie en 1999. Le fantastique et la science-fiction parmi ses genres de prédilection, mis à la portée du plus grand nombre, même d’un public peu enclin à ce type de cinéma, nous faisant accepter l’invraisemblable au détour d’un univers ancré dans la réalité. La trilogie Dark Knight, Le Prestige ou Inception, sont les composants évidents de cette règle, à laquelle Interstellar - neuvième long-métrage du réalisateur - ne déroge pas.
En se baladant sur les terrains de la singularité gravitationnelle, la théorie de la relativité ou le voyage dans les trous de ver - aussi passionnant que totalement vaste et abstrait pour le commun des mortels inexpérimenté en astrophysique -, Nolan parvient à ne pas s'engouffrer dans des dialogues trop fumeux qui prendraient le pas sur le catalyseur d’émotions que tente d’émettre le film. Une pente sinueuse sur laquelle le réalisateur échouait auparavant - Inception en tête, et The Dark Knight Rises dans une moindre mesure -, tronquée par des héros qui manquaient de consistance, non aidés par des concepts ou des genres qui prenaient le pas sur l’individu. Une plongée dans cette surdité de l’espace, où la douleur provoquée par l’éloignement des êtres chéris est d’autant plus poignante, combinée à cette peur rationnelle de ne pas assister à leur évolution et de ne pas voir ses enfants grandir.
Cet habile paradoxe de créer un rapprochement inéluctable avec les êtres que nous affectionnons, si loin de la planète bleue, trouve sa pleine mesure dans les discordances de temps. Qu’il soit passé ou présent, le temps est une fondamentale qui érige le cinéma de Christopher Nolan. Il est celui qui abîme la mémoire et les souvenirs (Memento) ; celui qui nous plonge dans des réalités oniriques bousculant toute logique temporelle (Inception) ; ou encore celui de l’invraisemblance dans son incohérence narrative, sans oublier les ultimes montages alternés frisant l’indigestion (The Dark Knight Rises). Le temps de Interstellar s'apparente à celui d’un monde qui se consume trop vite, agissant sur l’une des problématiques récurrentes de Nolan, qui est celle de l’absence d’une figure paternelle ou d’un proche. Elle atteindra ici son acmé, sonnant comme un châtiment pour les personnages, en particulier pour Cooper et sa fille Murphy, mis en exergue par la relativité et cette accélération du temps.
Si le temps a donc des vertus bienfaitrices sur l’exploration du récit et la profondeur accordée aux personnages, l’exploration de l’espace à travers ses possibles images sidérantes en pâtit. Il est regrettable de constater que le long-métrage ne repousse aucune limite visuelle, le réalisateur ne parvenant pas à rendre ses belles images sidérantes, trop pressé d’en découdre avec la narration classique, le trop verbeux. Les moments de relâchement et de respiration sont trop éphémères, là où les rétines ne demandent qu’à contempler l’extraordinaire - sans faire injure à ces quelques silences bien sentis dans l’espace dont nous gratifie Nolan. On en vient alors à se demander si cette volonté de ne pas se focaliser sur l’incroyable n’est autre qu’un artifice, censé annihiler les croyances du public dans un monde qui relève de l’utopie. Pourquoi s’émerveiller lorsque "cet incroyable" semble inatteignable ?
Interstellar tutoie ainsi la brillance sans atteindre des sommets. Constamment rattrapé par le temps et cette narration littérale, le film se penche d’avantage sur l’humain et cette pleine conscience de l’importance accordée au présent, confrontée à cette célérité du vieillissement. Un cinéaste qui ne semble pas impatient de retomber dans les mystères et l’expérimentation de ses lointains débuts - à l’image de son court-métrage Doodlebug, réalisé en 1997 -, laissant ce cinéma de l’évocation visuelle à ses illustres aînés (Kubrick en chef de file).
** L'expérience, à défaut de l'expérimentation, est une caractéristique non négligeable de Dunkerque, j'ai cependant fait le choix de m'arrêter à la filmographie de Nolan au temps de Interstellar pour rédiger ces quelques mots.