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Interstellar aurait pu être beau, très beau. Que ce soit dans sa photographie placide d’une Terre agonisante, asphyxiée par des tempêtes de poussière à la Steinbeck, ou encore dans ses images vertigineuses du néant sidéral qui contrastent, par ses proportions, avec l’insignifiance de l’Homme, Christopher Nolan joue de la caméra pour littéralement scotcher le spectateur à son siège. Quand des films comme 2012 basaient leur ambiance apocalyptique sur la grandiloquence des plans et des événements, Interstellar se contente d’un réalisme anticipateur pour nous faire froid dans le dos. De même que là où Gravity tentait l’immersion spatiale à travers des cadres intimistes, centrés sur ses acteurs, pour servir sa forme d'huis-clos, le film de Nolan, pour sa part, préfère une profondeur de champ qui perd le regard du spectateur, à l’instar du vaisseau, dans un vide sidéral où règne un silence lourd de sens. La musique de Hans Zimmer, pour une fois presque bruitiste, s'accorde parfaitement avec l'image, alors que le compositeur a travaillé sans avoir vu le film. Belle atmosphère, donc. On regrettera seulement quelques effets spéciaux et images de synthèses bien maladroits pour un blockbuster d’un tel budget. Car oui, Interstellar reste un blockbuster avec son lot de scènes larmoyantes interminables, sa séquence d’action elle aussi bien longuette (il en fallait une, c'est la loi du genre) pour un pseudo suspense narrativement inutile, avec enfin, en bonus, un Matt Damon peu convaincant, alors que la psychologie du personnage aurait pu être intéressante.

Un blockbuster donc, mais qui, pour une fois, a des ambitions intellectuelles. L’équipe du film, lors de sa promotion, a fait valoir - peut-être avec trop d’insistance - la vérité scientifique et le réalisme des représentations des phénomènes astronomiques. Il faut admettre que pour le spectateur lambda, c’est un plaisir de découvrir un univers inconnu et à fort potentiel d'émerveillement. Écrit en collaboration avec l’astrophysicien Kip Thorne, Interstellar, sans être un cours de physique quantique, apparaît en effet comme un essai de vulgarisation de concepts scientifiques complexes. Malheureusement, Nolan en fait trop : son didactisme tue la magie. Tout au long du film comme dans son dénouement, il ne laisse pas le spectateur s'approprier ce qu'il voit ; pire, il prémâche chaque interprétation, les livre pompeusement à grand coups d'explications indigestes voire futiles puisqu'elles paraphrasent des images bien plus expressives… Seule la question de la création de Gargantua garde son pouvoir d'évocation ; et pour cause : elle apparaît comme une incohérence face à laquelle Nolan nous laisse donc évidemment imaginer le pourquoi du comment.

Reconnaissons toutefois que Nolan a su traiter avec intelligence de la relation Père-Fille en la dotant d'une dimension allégorique qui éclaire toute l'intrigue. En liant l'histoire familiale à l'histoire de l'Humanité, il donne à son film une certaine profondeur. Comme le dit merveilleusement bien Cooper : « un parent est le fantôme de l’avenir de ses enfants ». Ce « fantôme » représente le sacrifice d'une génération pour garantir l'existence de la suivante. Dans Interstellar, il s'agit de sauver l'espèce humaine menacée de disparition prochaine. L'intrigue repose sur deux alternatives. D'un côté Cooper est prêt à se sacrifier pour que sa fille et la génération présente vivent. De l'autre le professeur Brand, dans une perspective plus pragmatique, trahit et sacrifie la génération présente au profit d'une humanité future en repeuplant une nouvelle planète d'embryons humains. Ce choix cornélien aurait pu donner lieu à une belle réflexion sur la question de la transmission et de la responsabilité à l'égard des générations futures. Malheureusement, blockbuster oblige, tout est bien qui finit bien. Le happy-end d'une grande mièvrerie gâte ce qui aurait pu être la leçon de l'histoire.

Interstellar est donc un film qui, à trop vouloir en faire, s’effondre finalement sous sa propre ambition. Le montage alternant conquête spatiale et survie terrestre est fade au regard du puzzle qu'était Mémento. Les personnages secondaires loin d’être inintéressants ne sont pas mis en valeur : si Murphy incarne l’espoir, son frère aurait pu, s'il avait eu plus d'épaisseur, personnifier la résignation humaine… Où sont les fortes personnalités que l’on retrouvait dans The Dark Knight ? Et que dire de ce pseudo twist-final sous couvert de ridicules set-up pay-off quand Nolan avait pourtant si bien su, dans Le Prestige, nous mener en bateau pour notre plus grand plaisir ? Même Inception, long de 2h30, avait eu le mérite de nous tenir en haleine grâce à ses successions d’images époustouflantes. Ici, hélas, les plans les plus beaux sont aussi les plus courts… comme les plus rares. Vous l’aurez compris : on peut être fan de Nolan sans l'être d’Interstellar !
Amn
5
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le 19 déc. 2014

Critique lue 546 fois

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