S’il est une œuvre cinématographique propre à l’Argentine décrite comme étant culte, il s’agit bien d’Invasion, le premier film réalisé par Hugo Santiago en 1969 alors que le pays est entré dans une nouvelle période de dictature militaire (1966-1973) plus connue sous le nom de « Révolution argentine ». Bien qu’ayant vécu un an là-bas, je dois bien avouer que sans l’intervention de MUBI, je n’aurais probablement pas entendu parler d’Invasion de sitôt.
Hugo Santiago, disciple et assistant de Bresson durant ses années françaises, réussit avec Invasion à proposer un long-métrage éminemment imprégné de la culture argentine qui pourtant a un fort écho universel. Dans la ville imaginaire d’Aquilea qui partage de nombreuses caractéristiques avec Buenos Aires, un réseau de résistants défend son territoire face à l’assaut d’hommes armés qui attaquent sans motivations explicites. Dans un combat infini contre soi-même, mêlant promesses et désespoir, le temps file, comme les voitures, sachant qu’à l’angle d’une rue ou d’une rencontre, la mort est tapie.
Muent par des causes qui les dépassent, ces hommes et ces femmes rappellent Les Justes d’Albert Camus. Ceux qui se demandent si la cause est noble resteront indéfiniment dans le “mystère”, mot cher à l’un des protagonistes. Quand les hommes ne se battent pas, ils boivent le maté, chantent la vie qui se délie et battent le pavé. Ah ça, pour battre le pavé, ils le battent voire ils le claquent. Des bruits de pas et de violence qui remplacent des dialogues réduits à l’essentiel. Les plans, tantôt amples, tantôt coupés en dés offrent à l’ensemble une atmosphère qui est, si ce n’est angoissante, au moins dérangeante. Les hommes sont classes et dignes, même à l’approche de la mort, le style guindé de l’argentin dans toute sa grandeur soutenu par des hommes aux épaules larges pour qui il reste à savoir s’ils sont « courageux ».
Invasion est un film noir, simple, à la logique irréfutable sur lequel il est facile de coller une interprétation toute faite, ce que beaucoup ont fait depuis sa sortie. Plutôt que de me risquer à cet exercice périlleux, je préfère vous donner envie de le découvrir en citant Jorge Luis Borges (grand écrivain argentin et scénariste du film avec Hugo Santiago, Adolfo Bioy Casares) : « Puisque je suis l’un des auteurs, je ne dois point me permettre d’en faire l’éloge. Je tiens pourtant à consigner ici qu’Invasion est un film qui ne ressemble à aucun autre et pourrait bien être le premier exemple d’un nouveau genre fantastique. »
Ma critique imagée à lire sur mon blog : https://lestylodetoto.wordpress.com/2021/01/15/invasion-les-justes/